Des crimes et des femmes | Automne 1995 |
Le solliciteur général du Canada, M. Herb Gray, et le ministre de la Justice et procureur général du Canada, M. Allan Rock, ont annoncé le 4 octobre 1995 qu’ils ont chargé la juge Lynn Ratushny de la Cour de l’Ontario (division provinciale) d’examiner les dossiers mettant en cause des femmes reconnues coupables d’avoir tué leur partenaire, leur conjoint ou leur gardien qui les maltraitaient.
Dans le cadre de son examen, la juge Ratushny fera des recommandations au ministre de la Justice quant à l’opportunité d’exercer la prérogative royale de clémence, qui pourrait comprendre un nouveau procès, ou une libération anticipée de la prison. De même, la juge Ratushny proposera des façons de préciser la portée et l’opportunité de se prévaloir du moyen de défense fondé sur la légitime défense. À l’issue de son examen, elle fera également des propositions de réforme des mesures législatives applicables.
Selon le ministre Rock, "l’évolution des circonstances exige un examen des mesures législatives concernant la légitime défense, et plus particulièrement en ce qui a trait aux femmes qui tuent leur partenaire agresseur. Cet examen fournira des idées importantes sur la question de la légitime défense et j’ai hâte de recevoir les recommandations du juge Ratushny".
Au cours des dernières années, bon nombre de femmes canadiennes purgeant une peine pour le meurtre de leur partenaire ont réclamé une révision de leur cas. Elles croient qu’elles ont agi en légitime défense et que leur incarcération continue est injuste. M. Gray a souligné que "l’examen du juge Ratushny donnera à ces femmes la chance de demander une révision de leur cas".
Mandat
Au cours des dernières années, notre compréhension des règles applicables à la légitime défense a évolué en ce qui a trait aux femmes victimes de mauvais traitements dans le cadre de relations personnelles empreintes de violence. On s’inquiète du fait que des femmes reconnues coupables d’homicide pourraient ne pas avoir pu se prévaloir du moyen de défense fondé sur la légitime défense lorsque les circonstances le permettaient.
Nous comprenons également davantage les relations empreintes de violence et leurs conséquences sur les personnes victimes de mauvais traitements, et la façon dont cet élément peut appuyer le recours à la légitime défense. On s’est également demandé dans quelles circonstances ces types d’infractions se produisaient et si notre droit pénal, notre régime de peines et nos outils de détermination de la peine étaient appropriés dans ces circonstances.
Par conséquent, la juge Lynn Ratushny de la Cour de l’Ontario (division provinciale) est chargée:
Le gouvernement se préoccupe du fait que les personnes qui ont commis un assassinat parce qu’elles ont été victimes de violence et d’une agression n’aient pas profité pleinement du moyen de défense de légitime défense.
Les idées soulevées au cours de cette étude aideront le gouvernement à examiner des dispositions législatives sur la légitime défense. En outre, le gouvernement a hâte de recevoir les recommandations de la juge Ratushny.
Pourquoi l’étude était-elle limitée aux causes concernant des femmes?
Des recherches exhaustives ont révélé que le recours au moyen de défense de légitime défense par des femmes en situation de violence familiale suscite certaines préoccupations. L’étude cherchera à apaiser ces préoccupations.
Si des recherches portant sur d’autres groupes étaient produites, le gouvernement étudierait alors manifestement quelle serait la meilleure mesure à prendre.
A-t-on décidé qui est admissible et quelles causes seront révisées?
Les femmes devront présenter d’elles-mêmes une demande de révision. Celles qui sont actuellement emprisonnées auront la priorité.
Toute femme déclarée coupable du meurtre d’un partenaire, d’un conjoint ou d’un tuteur dans un contexte de violence familiale et qui prétend avoir tué en situation de légitime défense est admissible à une révision de cause.
Comment l’étude sera-t-elle effectuée et combien en coûtera-t-il au contribuable?
Il y aura tout d’abord un examen des dossiers des tribunaux de première instance, des tribunaux d’appel et des prisons. On vérifiera les faits et on obtiendra des renseignements supplémentaires en amassant des documents annexes ou en réalisant des entrevues.
Certaines ressources devront être effectuées pour aider la juge Ratushny dans son travail, et le gouvernement s’engage à mettre à sa disposition les ressources nécessaires. Cependant, le gouvernement ne prévoit pas que de grosses sommes d’argent seront nécessaires étant donné que la révision se fonde en grande partie sur les dossiers déjà compilés. Il ne s’agit pas ici d’une commission d’enquête qui tient des audiences, mais plutôt d’un révision de causes signalées à la juge Ratushny.
On a prévu, à ce stade-ci, 100 000 $ pour la réalisation de l’étude.
Combien de femmes demanderont la révision de leur cause?
On ne connaît pas le nombre exact de femmes qui souhaitent obtenir une révision de leur cause. Il est prévu qu’il pourrait y avoir au début de 12 à 15 requérants. Tout dépendra si les femmes admissibles désirent présenter une demande.
Le chargé d’examen fera tout en son pouvoir pour s’assurer que les femmes soient mises au courant de l’exercice et se manifestent. À cette fin, il rendra le processus accessible et facilitera la tâche des femmes qui veulent faire revoir leur dossier.
Y a-t-il un rapport entre cette étude et l’enquête Arbour?
Il n’y a absolument aucun lien entre la révision qui sera effectuée par la juge Ratushny et la commission d’enquête présidée par le juge Arbour, qui traite d’un large éventail de sujets, notamment d’un incident particulier à la prison des femmes de Kingston.
L’étude se limitera-t-elle aux femmes qui sont incarcérées à la prison des femmes ou examinera-t-on les causes des femmes emprisonnées dans d’autres établissements?
L’étude ne se limitera pas aux femmes incarcérées à la prison des femmes. Celles qui se trouvent dans d’autres établissements pénitentiaires, y compris les établissements correctionnels, auront l’occasion de présenter une demande.
Quels avantages présenteraient la révision? Des femmes pourraient-elles être libérées?
Il serait prématuré de spéculer quant à ce que seront les recommandations de la juge dans chacune des causes. La juge Ratushny les examinera individuellement et considérera les solutions appropriées à chaque circonstance. Elle transmettra ensuite les recommandations au gouvernement, pour étude.
Cette étude pourrait aider le gouvernement dans son examen actuel de la Partie générale du Code criminel et tout particulièrement dans son examen du moyen de défense fondé sur la légitime défense. Le gouvernement attendra de voir les recommandations de la juge Ratushny en ce qui concerne la loi.
Si des femmes devaient être libérées en raison de cette étude, cela aurait-il des conséquences négatives sur la défense dont bénéficieraient ces femmes au procès?
Ce ne serait pas nécessairement le cas. On ne s’est pleinement rendu compte que récemment de toute l’importance et de toutes les répercussions de la violence grave incessante exercée contre les femmes. À titre d’exemple, la Cour suprême du Canada a récemment reconnu cette situation dans la décision qu’elle a rendue dans l’arrêt Lavallée.
La révision des dossiers des récidivistes
En mai 1984, la prérogative royale de clémence a été élargie, sur la recommandation d’un juge, à soixante et onze personnes emprisonnées qui ont cessé d’être considérées comme des récidivistes.
Le juge Stuart Leggat a revu 87 causes et il a recommandé que 73 particuliers soient retirés immédiatement du système carcéral et du régime de libération conditionnelle, et qu’ils se voient accorder une liberté complète. La recommandation a été suivie dans le cas de 71 particuliers.
La désignation "récidiviste" signifiait que le criminel avait été reconnu coupable d’au moins trois infractions distinctes, chacune étant punissable d’une peine d’emprisonnement minimale de cinq ans.
La révision a eu lieu en raison d’une modification de la loi. Avant que la loi ne soit abrogée en 1977, un criminel pouvait être gardé en "détention préventive" s’il était désigné "récidiviste" par la cour. La modification apportée à la loi ne modifiait pas le statut des personnes déjà désignées "récidivistes". Il fallait donc procéder à une révision.
L’expression "délinquant dangereux" désigne maintenant ceux et celles qui ont été reconnus coupables d’avoir causé des sévices graves à la personne et pour qui il y a assez d’éléments de preuve pour établir que le délinquant demeure une menace pour la sécurité de la société.
Pardon conditionnel
En septembre 1981, Ross Davis, un prévenu reconnu coupable de meurtre, a reçu un pardon conditionnel après avoir purgé la moitié de sa peine de dix ans d’emprisonnement. Il avait été reconnu coupable d’avoir tué son père, qui avait infligé de mauvais traitements à la sœur de Ross.
En vertu des pouvoirs qui lui sont conférés, le gouverneur en conseil a accordé le pardon conditionnel à Ross Davis.
Le gouverneur en conseil peut accorder un pardon absolu ou un pardon conditionnel. Certaines conditions, comme des restrictions en matière de déplacements ou de possession d’armes à feu, peuvent s’appliquer à ce genre de pardon. Le pardon absolu n’est pas assorti de conditions.
Une victoire
Les groupes de femmes qui ont appuyé l’action menée par l’Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry se réjouissent de l’annonce du ministre Rock. Cette révision est l’aboutissement d’un travail de quatre ans, soutenu par l’ensemble du mouvement des femmes au Canada et les ministres Rock et Gray doivent être félicités pour cette décision.