Des crimes et des femmes | Automne 1996 |
Comme féministe, je reconnais deux réalités qui m’aident à articuler une position face aux métiers du sexe.
Le corps des femmes a été considéré historiquement (et encore aujourd’hui dans certains cas) comme la propriété des hommes. Les publicistes s’en servent impunément, les téléromans l’utilisent... À quand un pénis en érection à la télé à 20 h?
Les Églises ont beaucoup démonisé le corps des femmes. Celles par qui arrivent tous les péchés. Elles ont aussi considéré les femmes comme des réceptacles de futurs bébés, oubliant le droit des femmes à la sexualité.
D’un point de vue féministe, s’il s’agit d’un choix véritable, librement consenti et assumé, par une femme adulte, je dirais oui. Théoriquement...
Dans la vraie vie, compte tenu des inégalités persistantes entre les hommes et les femmes, compte tenu du contexte économique et du néolibéralisme qui condamnent beaucoup de femmes, d’hommes et de jeunes à l’exclusion économique, politique et sociale, compte tenu de la détresse humaine, de la solitude et des difficultés de communication qui persistent malgré ou à cause des technologies révolutionnaires et que, dans ce contexte, des pratiques sexuelles plutôt éclatées remplacent peut-être des rapports humains déficients, compte tenu qu’aujourd’hui, tout s’achète, ou presque, et même des parties de corps humain et qu’un individualisme forcené tend à remplacer le partage et la solidarité... il est difficile de dire qu’on est devant des métiers neutres, sans signification sociale. Ce qui ne veut pas dire qu’on doive l’interdire, le réprimer et porter un jugement plein d’hypocrisie sur lui.
Les métiers du sexe et le contrôle des travailleuses sur leurs conditions de travail
Il faut décriminaliser les métiers du sexe. Il n’y a pas de crime à introduire un rapport marchand dans les pratiques sexuelles lorsque le procédé est librement consenti. Les gens qui ne sont pas d’accord avec cette façon de faire ne sont pas obligés de s’y adonner. Décriminaliser a aussi l’avantage d’occuper les policiers à des choses plus utiles que la chasse aux prostituées et aux clients. On pourrait enfin discuter d’autre chose que de répression.
Par exemple, comment aider vraiment les adolescentes qui commencent à se prostituer et à consommer des drogues qui les rendent malades? Pourquoi a-t-on tant de jeunes désespérés qui s’autodétruisent ou commettent des actes de vandalisme? Devant ce désespoir, par où commencer, où est notre responsabilité sociale? Quand on sait que plusieurs jeunes prostituées ont été abusées sexuellement étant enfant, ne devrait-on pas agir avec plus de fermeté face aux abuseurs (souvent les pères, les oncles ou les nouveaux conjoints des mères)? Comment aider aussi les femmes adultes qui veulent sortir de la prostitution, apprendre un autre métier... quand les organismes communautaires manquent de moyens et qu’on coupe sans cesse à l’aide sociale?
Faut-il légaliser la prostitution? Je ne le sais pas.
La vraie question: Comment faire en sorte que les prostituées et autres travailleuses du sexe se donnent du contrôle sur leur vie, sur leur corps et sur leurs conditions de travail?
Métier temporairement ou ponctuellement payant mais précaire. D’où la nécessité de se protéger, de pouvoir négocier ses conditions de travail, incluant le maintien de sa santé. La légalisation offre-t-elle cette protection et cette capacité de négociation? Pénaliserait-elle celles qui veulent continuer d’exercer leur métier "au noir", sans contrôle, avec les risques qu’elles connaissent déjà?
Légaliser une pratique signifie-t-il qu’une société reconnaît cette pratique comme légitime, ayant officiellement droit de cité? Si c’est le cas, ce n’est pas demain la veille! À cause de l’hypocrisie qui entoure la question des pratiques sexuelles hors normes. "On le sait, mais faut pas que ça paraisse..."
Et finalement, si les femmes recouraient massivement aux services de prostitués, de danseurs et autres travailleurs du sexe, discuterions-nous de tout cela de la même façon? Est-ce qu’on peut même l’imaginer? Le malaise social, pour ne pas dire la commotion que cela créerait, amènerait certainement des hommes à se questionner sur leurs propres pratiques et sur la liberté réelle qu’ils accordent aux femmes quant à leur sexualité...