Crimes et femmes | Automne 1999 |
Origine et mandat du comité
La Ville de Montréal sengage à coordonner les travaux du Comité
consultatif permanent et à y adjoindre les ressources nécessaires.
Le comité montréalais sur la prostitution de rue et la prostitution
juvénile a été constitué par décision du Comité
exécutif de la ville de Montréal le 18 décembre 1996 (DE9600186).
La création de ce comité consultatif sinscrivait dans un contexte
de tensions sociales et de débats constamment ravivés autour de
la prostitution de rue dans des quartiers de la ville. Plus spécifiquement,
la création du Comité faisait suite à deux événements
importants. D'abord, la publication, en mars 1996, du rapport de la Table interquartiers
sur la prostitution intitulé La prostitution de rue à Montréal
- L'urgence dune nouvelle approche, rapport dont notre Comité
sest inspiré au cours de ses travaux. Ensuite, la tenue, en septembre
1996, du Colloque international sur la prostitution et les autres métiers
du sexe, qui réunissait à Montréal des prostitué-e-s,
des intervenants sociaux et judiciaires, des policiers, des fonctionnaires et
des élus, pour échanger sur les réalités et difficultés
du travail du sexe et de sa régulation. Enfin, la création du Comité
participe de la politique douverture poursuivie par la Ville de Montréal,
qui donne à des organismes communautaires représentant des personnes
marginalisées loccasion de faire entendre leur voix.
Le mandat du Comité est défini comme suit :
Jeter un éclairage judicieux sur le phénomène de la prostitution
de rue et la prostitution juvénile à Montréal tout en cherchant
collectivement à identifier des piste de solution.
Dans le cadre de ce mandat, le Comité a été invité
à privilégier les éléments suivants :
Le Comité, dont les travaux ont débuté en juin 1997, était
composé de représentants de tous les milieux concernés, soit
: des personnes sadonnant à la prostitution, des organismes communautaires
et sociaux, des organismes judiciaires, des représentants des résidants
et un chercheur. La Société Elizabeth Fry du Québec était
membre de ce comité.
Il convient de souligner que les travaux se sont essentiellement concentrés
sur la prostitution de rue et ses conséquences, mettant entre parenthèses
la question de la prostitution juvénile. Ce choix délibéré
sexplique essentiellement par les difficultés particulières
posées par la question de la prostitution juvénile.
Les contours de la prostitution de rue à Montréal
Quelques précisions préliminaires simposent sur les sources
dinformation. Premièrement, quil sagisse de déterminer
le nombre de prostituées travaillant sur les rues de la ville ou de chercher
à savoir qui sont les prostituées, les données sont nécessairement
parcellaires. Se limitant aux mises en accusations, les statistiques policières
ne concernent quune partie seulement des personnes qui sadonnent à
la prostitution. Les données provenant détudes sociologiques
sont obtenues à partir déchantillons non probabilistes de
prostituées. Il est impossible en effet de recenser toutes les personnes
qui font de la prostitution et de sélectionner à partir de cette
population un échantillon aléatoire. Il ne faut donc pas chercher
à généraliser les résultats à toutes les prostituées
comme on le ferait pour une enquête dopinion publique faite à
partir dun échantillon aléatoire représentatif de la
population québécoise.
Deuxième précision, cest sur un groupe en particulier que
les informations se concentrent la plupart du temps, soit les prostituées
de rue. Il existe plusieurs raisons à cela: elles sont les plus facilement
identifiables et accessibles, elles représentent aussi celles qui ont posé
et continuent de poser un « problème » dordre public,
elles sont enfin le groupe de prostituées que lon croit être
les plus exposées à des violences, traumatismes, des sévices
de toutes sortes, dont la consommation de drogues par injection et par conséquent
les MTS et le SIDA.
Qui ?
La majorité des prostituées, soit entre 60% et 80% selon les études,
sont des femmes.
Elles sont généralement âgées entre 18 et 24 ans, et
on estime que 10% à 15% sont des mineures. Ainsi, dans létude
quil a menée en 1984 pour le ministère de Justice du Canada
auprès de 75 prostitué-e-s de Montréal, Gemme obtient un
âge moyen de 26 ans, 27 pour les femmes et 24 pour les hommes. Cette moyenne
nétait pas différente lors de létude dévaluation
menée en 1988.1
Une étude menée à Montréal en 1995 sur échantillon
de 919 jeunes de la rue, dont 37% des filles (102 sur 276) et 22% des garçons
(128 sur 643) ont fait de la prostitution, indique que lâge moyen
des filles qui se sont déjà prostituées est de 19 ans et
que le tiers sont des mineurs, tandis que lâge moyen des garçons
est de 21 ans et 8% sont des mineurs.2 La même
étude rapporte que parmi les jeunes prostitué-e-s :
Si une majorité des prostituées sont des femmes, on a noté
une augmentation continue du nombre de travestis et de transsexuels. Alors quil
les estimait à environ 10% du total en 1984, Gemme les estimait à
environ 25% en 19893 tandis que Sansfaçon
rapportait que selon certains intervenants ils compteraient jusquà
40% du total.4
Interrogées sur les motifs de leur entrée dans la prostitution,
les trois-quarts disent lavoir délibérément choisi,
spécialement afin daméliorer leur situation financière.
Inversement, 10% disent y avoir été forcées ou contraintes
par dautres personnes.
Combien ?
Actuellement, selon un document préparé par le Service de police
de la CUM et soumis au Comité, on estime le nombre total de prostituées
entre 1000 et 1500, et le nombre de prostituées de rue serait de 400 à
500.5 Au total, hormis des variations pouvant
relever de facteurs tels lintervention policière, les fluctuations
du marché de la prostitution, ou les conditions socio-économiques,
le nombre de prostituées seraient demeuré, sur une période
dune quinzaine dannées, remarquablement stable.6
Où ?
Traditionnellement, et ce jusquà la fin des années 1970, la
prostitution hétérosexuelle à Montréal se concentrait
autour de la Main. Vers la fin de cette décennie et au début
des années 1980, le secteur de la Main sest lui même
élargi (jusquà Bleury à louest et St-Hubert à
lest), tandis que se développaient des secteurs périphériques
de prostitution, le Carré St-Louis et les rues adjacentes au centre-ville
est, et le secteur Ste-Catherine/Peel au centre-ville ouest.
Le déplacement géographique de la prostitution vers les quartiers
plus résidentiels du Centre-Sud et de Hochelaga-Maisonneuve à lest,
et vers le secteur du Marché Jean-Talon au nord sest produit en deux
temps à partir du début des années 1980.
Une première vague, encore minime, de déplacements correspond à
ladoption et à la mise en uvre par la Ville de Montréal
des règlements municipaux contre le commerce dans les rue de la ville.7
La seconde vague correspond à lapplication rigoureuse des nouvelles
dispositions du Code criminel relativement à la communication dans les
lieux publics aux fins de prostitution.
Comment ?
Autre question importante, celle des modes dopération des activités
de prostitution de rue. En effet, plus que la seule présence des prostituées
au coin de la rue, ce sont souvent les caractéristiques de la pratique
que les résidants excédés invoqueront pour porter plainte:
cris et bagarres, comportements injurieux des prostituées, harcèlement
des clients qui ne font pas la distinction entre les prostituées et les
autres, condoms et seringues que lon trouve dans les parcs ou aux abords
des écoles.
Comme il a été mentionné plus haut, le nombre de prostituées
travaillant en petits groupes a diminué. Certains membres du Comité
ont indiqué que cela ferait partie dune stratégie dapplication
de la loi de manière à réduire les nuisances potentielles
en réduisant les regroupements. Si tel était le cas, il faudrait
revoir les stratégies puisque lune des principales raisons pour travailler
en groupe est la sécurité: lorsquune femme monte dans la voiture
dun client, ses collègues noteront parfois lheure de son départ
et le numéro de plaque de la voiture.8
Autre changement, les femmes « bougent » davantage quauparavant.
Au lieu de rester au même endroit jusquà ce quun client
arrive, elles marchent, se déplacent, à lintérieur
dun même quadrilatère, mais aussi, plus souvent quauparavant,
dun quartier à lautre. Selon Shaver (1995), ces facteurs sont
reliés à une dégradation générale des conditions
de travail des prostituées de rue.
Les modes de prise de contact avec les clients sont sensiblement les mêmes,
quoique les prostituées auront tendance à poser davantage de questions
aux clients, à les laisser savancer davantage. Léchange
de services sexuels se produit encore majoritairement dans la voiture du client,
une minorité dans une chambre dhôtel.
Dautre part, et contrairement aux stéréotypes entretenus,
les prostituées travaillent le plus souvent de manière autonome,
cest-à-dire quelles ne sont pas sous la «protection»
dun proxénète. Le document du SPCUM évalue à
20% le contrôle de la prostitution de rue par les proxénètes,
et ce phénomène est principalement propre au secteur historique
de la Main.9
En somme, la prostitution de rue à Montréal semble avoir pris, surtout
à partir de la fin des années 1980, un tournant spatio-temporel:
déplacée vers des quartiers à vocation plus résidentielle,
elle est pratiquée de manière plus individuelle et à des
heures de plus en plus tardives.
Les expériences des prostituées
Faits saillants
Rappelons que le Colloque International sur la prostitution et les autres métiers
du sexe qui sest tenu à Montréal en octobre 1996 a été
le lieu où la création dun comité de la Ville de Montréal
sur la prostitution a dabord été annoncé.
Des organismes tels que Stella et la Coalition des travailleurs et travailleuses
du sexe tentent, depuis la fin des années 1980, de donner une voix à
ces personnes largement exclues des débats publics sur leur métier.
Or, elles ont joué un rôle central dans les travaux du Comité.
Rendre compte de leurs expériences, soit directement par leurs témoignages,
soit indirectement par le recours aux études socio-psychologiques qui leur
sont consacrées, nous apparaît dès lors essentiel.
Une note simpose sur la nature des informations qui suivent. Sagissant
de témoignages, même lorsquils auront été obtenus
par des protocoles de recherches sérieux, on aura aisément tendance
à les relativiser. On dira quil sagit danecdotes, dhistoires
individuelles qui ne sont pas «représentatives», quil
sagit au mieux de perceptions ou dopinions.
Outre des questions reliées aux règles de la connaissance scientifique,
cette forme de discrédit nest pas sans rappeler le traitement, dans
notre imaginaire collectif comme dans nos pratiques individuelles et institutionnelles,
généralement réservé aux femmes qui se prostituent.
Ainsi, lorsquelles demandent leur émancipation juridique - reconnaissance
dun statut de travailleuses - ou lorsquelles dénoncent une
agression sexuelle dont elles ont été victimes, il est courant de
considérer quelles ne sont pas crédibles, quelles exagèrent,
ou quelles mentent. Il en est de leur situation, dans nos représentations
socio-juridiques, comme il en était - et est encore dans une certaine mesure
- des enfants témoignant dans des affaires dinceste ou dabus
sexuel dont on craint toujours quils ne fabulent ou ninventent. En
ce sens, tout se passe comme si les prostituées demeuraient «mineures»
et nétaient pas en mesure délever les mêmes prétentions
à la vérité que les personnes «majeures».
Pourquoi la prostitution ?
Nous ne pouvions ignorer ni balayer les arguments quont présentés
les femmes faisant métier du sexe et de leurs représentantes. Même
si elles tiennent un discours minoritaire, voire peu populaire dans notre société,
elles nous ont forcés à mieux saisir nos propres difficultés
à entendre les revendications des prostituées à une émancipation.
Les interrogations quelles ont provoquées nous ont permis de voir
que ranger tout de go la prostitution parmi les déviances ou les formes
dexploitation des femmes - ce qui nous aurait certainement été
plus facile et plus « politiquement correct » - signifiait de facto
que nous rejetions implicitement la perspective de lémancipation
de même que leur propre expérience et leur réflexion.
Il en est également ainsi du pourquoi de la prostitution. Ces femmes nous
ont invités à interroger notre propre questionnement: pourquoi,
en effet, tenons-nous tant à savoir pourquoi des personnes font de la prostitution?
Ce questionnement ne contient-il pas, en lui-même, une vision a priori
de la prostitution qui en fait quelque chose danormal, qui a besoin dêtre
expliqué, et par là « corrigé »? Que la prostitution
soit atypique au sens statistique du terme parce quelle ne concerne quun
petit groupe de la population justifie-t-il den rechercher les causes et
den connaître le pourquoi? Le glissement de latypique à
lanormal au sens de pathologie, anomalie, déviance est aussi facile
que souvent tautologique: est déviant ce qui va à lencontre
de la norme, la prostitution va à lencontre de la norme, donc la
prostitution est une déviance; mais la prostitution va à lencontre
de la norme parce quelle est une déviance. Dans ce type de raisonnement
circulaire, la cause et leffet, la prémisse et la conclusion, deviennent
interchangeables.
Comme lindiquent les auteures dune recension des études sur
les facteurs dentrée dans la prostitution:
Bref, une série de facteurs semblent être en jeu, leur combinaison
et leur degré dimportance variant vraisemblablement dun individu
à lautre. (
) Tout au plus est-il important de retenir que
les occasions dentrée dans la prostitution sont nombreuses et diversifiées,
et quil est possible que lattention des chercheurs sur les histoires
tragiques des individus occulte notre compréhension du phénomène.
En effet, certaines personnes pourraient délibérément travailler
dans lindustrie du sexe.10
Ne pas prendre position peut-être, mais ne pas non plus «occulter»
notre regard derrière le «tragique». Notre capacité
dentendre les expérience des prostituées sans les ravaler
au rang dopinions ou de témoignages idiosyncrasiques est à
ce prix: identifier et rendre conscientes nos présuppositions, nos préconceptions,
qui la rangent par avance dans le tiroir des anomalies et des problèmes
à corriger.
Les expériences de quartiers
Faits saillants
Lurgence dune nouvelle approche
Constat déchec de la « solution répressive » déjà
souligné par lévaluation faite par le ministère fédéral
de la Justice du nouvel arsenal pénal mis en place en 1985, constat aussi
de limpuissance des résidants, constat encore quune autre approche
est nécessaire.
Cest dans ce contexte que naît la Table interquartiers et que ce regroupement
dorganismes communautaires des quartiers les plus touchés lance linvitation
à une approche plus « humaine ».
La Table interquartiers sur la prostitution lance son mémoire en mars 1996.
Regroupant travailleurs de rue, policiers, responsables de centres de désintoxication,
intervenants de Tandem Montréal et résidants, la Table veut favoriser
lémergence dapproches différentes qui soient mieux en
mesure d« alléger des situations qui deviennent, épisodiquement,
explosives ». Demblée le mémoire situe la prostitution
de rue dans le contexte dune évolution inquiétante dans certains
quartiers :
La prostitution de rue dans certains quartiers de Montréal a connu
ces dernières années un accroissement inquiétant. Cette
inquiétude se manifeste autant pour les personnes qui sadonnent
à cette activité sans aucun support médical et sans protection
pour leur intégrité physique que pour la dégradation de
la qualité de vies des résidants de ces quartiers.11
Le mémoire rappelle aussi que la prostitution naît des « inégalités
et abus de pouvoir (
) entre les hommes et les femmes, les riches et les
pauvres, les adultes et les jeunes » (idem: 3). Il note que policiers, travailleurs
de rue ou centres de désintoxication sont tout à la fois au plus
près de ces problèmes et souvent mal outillés pour y faire
face, que ce soit en raison de leurs manières traditionnelles dopérer
ou des carences de leurs ressources. Le mémoire observe et regrette aussi
labsence dintervenants aussi importants à ce débat que
les services de santé et le réseau scolaire. Dans une optique de
véritable concertation et daccentuation des mécanismes de
prévention, la Table recommande donc, en conclusion:
Que les autorités publiques reconnaissent la prostitution comme un
fait de société en évolution constante et accordent une
attention particulière à lapproche socio-communautaire pour
lallégement des problèmes reliés à cette situation.
Tandem Montréal, organisme de prévention qui a pour mandat de faire
de Montréal une ville plus sécuritaire en sattaquant aux situations
qui engendrent la criminalité et le sentiment dinsécurité,
a fait siennes ces recommandations dans le mémoire quil a soumis
au Comité montréalais sur la prostitution.
Que soit favorisée une véritable concertation multisectorielle
pour la résolution des problèmes reliés à la prostitution
de rue telle quinitiée par notre regroupement interquartiers. Que
lon reconnaisse et généralise le travail sociocommunautaire
spécialisé (travail de rue et du milieu) dans les quartiers où
sévissent les problèmes reliés à la prostitution
de rue et à la consommation de drogues. Il va de soi quune telle
reconnaissance doit saccompagner de ressources financières accrues
aux organismes concernés.
Que soient établies des ressources de longue durée pour venir
en aide aux personnes toxicomanes en phase de réinsertion sociale dans
le but dassurer un support qui tienne compte du contexte socio-économique
difficile qui est le nôtre.12
Sil y a urgence, si pareille urgence est ressentie plus fortement dans certains
quartiers et relayée par les élus municipaux qui représentent
les résidants de ces quartiers, il ne semble pas, pour lheure, quune
nouvelle approche ait encore vu le jour. La concertation et le partenariat, tout
au goût du jour quils soient, doivent dépasser les bonnes intentions
et les discours. Il ne suffit pas, en effet, de participer à une table
de travail ou à un comité consultatif pour simpliquer véritablement
dans une approche concertée. Encore faut-il accepter de renoncer, au moins
partiellement, à sa vision, entendre véritablement celle de lautre,
accepter que lon ne détient pas les clefs de la solution et quil
est essentiel de travailler avec lautre pour avoir un effet réel
sur le terrain.
Modes d intervention policière
Dans le cadre de ladoption de lapproche de police de quartier, le
Service de police de la Communauté urbaine de Montréal a «jugé
nécessaire daccomplir sa mission différemment» et pour
ce faire:
(
) en partenariat avec les organismes socio-économiques, les
groupes communautaire et les citoyens et citoyennes du territoire, le Service
sengage à :
Cette nouvelle forme de définition de laction policière, plus
proche des citoyens et des problèmes spécifiques à leur quartier,
permet en effet denvisager des actions policières davantage axées
sur la résolution de problèmes. Cest dailleurs ce que
rappelle un document de travail préparé par le SPCUM pour notre
comité.14
Promouvoir la qualité de vie de tous les citoyens et citoyennes sur le
territoire de la Communauté urbaine de Montréal en contribuant
à réduire la criminalité, à augmenter la sécurité
routière sur le territoire, à favoriser le sentiment de sécurité
et à développer un milieu de vie paisible et sûr dans le
respect des droits et libertés garantis par les chartes québécoise
et canadiennes.13
Le document souligne que, dans le contexte de limplantation du modèle
de la police de quartier:
Une nouvelle philosophie de résolution de problèmes sest
implantée. Cest pourquoi un enquêteur de «moralité»
est désigné à chaque poste de quartier et celui-ci, de
concert avec les patrouilleurs et les citoyens, cherche à régler
le problème de façon durable autrement que par les opérations
conventionnelles et répressives.»15
Le document souligne aussi « quau cours de 96 - 97 le SPCUM na
pas porté demphase particulière en matière de prostitution.
»16 Cest à dire que des interventions
nauraient été menées que lorsquil y avait des
plaintes ou lorsque des mineurs étaient signalés. De plus, laccent
mis sur la lutte au crime organisé et aux bandes de motards a fait diminuer
la disponibilité denquête en matière de prostitution.
Néanmoins, la prostitution constitue, pour le SPCUM, un problème
social important, au sens où des personnes en sont victimes - notamment
certaines prostitué-e-s qui subissent des violences physiques ou qui vivent
une dépendance à la drogue et qui devraient, de ce fait recevoir
laide adéquate - et les citoyens des quartiers les plus touchés.
Reconnaissant les sources sociales de la prostitution, le document considère
que les prostituées sont des victimes parce que dépourvues des ressources
économiques essentielles à leur survie, victimes aussi parce dépendantes
de la drogue ou dun proxénète. Par conséquent, le document
du SPCUM estime quil faut maintenir et appliquer les lois actuelles - «
Sévir pour aider » - et frapper là où le bât
blesse, notamment contre les proxénétisme. Le document mentionne
aussi que:
Enfin, rappelant lénoncé de politique qui a été
entériné par le Comité exécutif de la Communauté
urbaine de Montréal, le SPCUM rappelle les axes privilégiés
de son action :
Les limites de la judiciarisation
Faits saillants
La prostitution de rue
La prostitution de rue, qui, à la fois, caractérise les couches
les plus démunies de la population et nous rappelle, par sa visibilité,
que la prostitution existe - de même que litinérance est le
rappel brutal de la pauvreté - est celle qui, plus que toute autre activité
de prostitution, interpelle les législateurs et les autorités policières
et sur laquelle on intervient le plus.
Lénoncé de problème définissant les termes de
la consultation qua menée entre 1995 et 1997 le Groupe de travail
fédéral-provincial-territorial sur la prostitution17
souligne que:
Au Canada, la prostitution sur la voie publique, soit la forme de prostitution
la plus visible, a été identifiée comme constituant un problème
majeur dans plusieurs centre urbains. Les résidants et les commerçants
sont gênés par le bruit, la circulation et par le trafic de la drogue
et la violence que cette activité entraîne.
Cette réduction de la prostitution - en tant que problème - à
la seule prostitution de rue, nous a interpellés de plusieurs manières:
dabord, certains nous ont rappelé que si la prostitution pose problème
parce quelle témoigne de la victimisation et de lexploitation
des femmes, alors cest tout aussi vrai de la prostitution de rue que des
autres formes (salons de massage, services descorte, hôtels de luxe).
Dans les quartiers résidentiels, la présence de prostituées
qui tentent ouvertement de trouver des clients choque les gens. Les résidants
et leurs enfants peuvent être exposés aux déchets provenant
à la fois de la prostitution et du trafic de drogues de même que
par les intrusions sur leur terrain privé; ils pourraient être témoins
dactes sexuels.
On nous a rappelé à quel point la prostitution de rue est affaire
de distinction de classe: elle est le fait de personnes plus souvent quautrement
défavorisées et se produit le plus souvent dans des quartiers eux
aussi désavantagés.
Enfin, cloisonner les expérience des travailleuses du sexe selon quelles
se produisent sur la rue ou ailleurs cest distinguer des expériences
qui sont le plus souvent en continuité : nombreuses sont celles qui passent
de la rue au salon de massage, du salon de massage au bar de danse nue, puis retournent
sur la rue, et ainsi de suite.
Plusieurs membres du Comité et certains analyste voient deux conséquences
insidieuses à ce découpage. Il permet dabord de ne pas reconnaître
la prostitution comme métier et de nier lexpérience de ces
femmes. En effet, les personnes qui font commerce du sexe distingueront entre
les formes dactivités selon le niveau de contrôle quelles
exercent (sur le choix du client, sur le type de services, sur le lieu, sur le
contenu de la transaction, sur les tarifs) et sur le degré de proximité
quelles consentent à vivre à vivre avec le client, et non
en fonction du lieu (privé ou public) où elles se produisent.18
Ce découpage permet ensuite de conforter lhypocrisie de nos doubles
standards moraux et de nos politiques judiciaires en la matière. En concentrant
le regard sociojudiciaires sur les prostituées qui travaillent dans la
rue, on concentre lactivité répressive sur celles qui exercent
le moins de contrôle individuel sur leurs activités. Inversement,
celles qui bénéficient du niveau de contrôle le plus élevé
et - par conséquent - des meilleurs conditions de travail - sont aussi
celles qui font le moins lobjet et de lopprobre et de la judiciarisation.
Il sensuit que, comme va la situation de la prostitution de rue, ainsi vont
les perceptions quant à l«adéquacité» des
lois. Autrement dit, dès que se présentent les signes dune
trop grande visibilité de la prostitution de rue, dès que les forces
policières clament leur incapacité à la contrôler,
cest alors tout le dispositif législatif en la matière qui
est remis en question. Il nest alors pas surprenant que, de temps à
autre, on assiste à une véritable «panique».
Le champ municipal dintervention
Une municipalité ne peut adopter une réglementation qui aurait pour
effet, par voie directe ou indirecte, de prohiber la prostitution ni non plus
que les autres formes de commerce du sexe. Dautre part, villes et provinces
ne peuvent pas davantage la décriminaliser puisquil sagit dun
champ de juridiction fédéral.
Cest cependant en vertu de leur pouvoir de réglementer les commerces
sur leur territoire que les municipalités ont le plus souvent exercé
un contrôle sur les activités à caractère sexuel.
Le champ municipal dintervention ne sarrête pas à ladoption
de règlements visant les pratiques commerciales. Nonobstant que la santé
publique relève du gouvernement provincial, les municipalités disposent
dun certain pouvoir dintervention en matière de santé
publique. Cest dailleurs en vertu dune commission de santé
publique que la ville de Toronto avait adopté, en 1995, une position visant
la décriminalisation de la prostitution de rue et une action orientée
sur la santé publique.
En matière pénale, les autorités municipales détiennent
un pouvoir important sur la gestion des services policiers par lattribution
des budgets et lexamen des orientations et des priorités de ces services.
Il est clair que lon ne peut, ni ne doit, accorder une importance égale
à tous les actes criminels prévus par le Code criminel. À
ressources constantes, doit-on mettre laccent sur la répression du
trafic de drogues, du jeu, des agressions sexuelles, des violences conjugales,
du crime organisé, des fraudes économiques, de la prostitution?
Cest un débat de cet ordre et le constat déchec des
politiques de répression, qui ont amené la Ville de Vancouver à
adopter un moratoire sur la répression de la prostitution de rue. Cest
dire que les autorités municipales, sans déclarer légales
des activités qui demeurent illégales en vertu du Code, ont le pouvoir
didentifier des priorités et de réorienter les actions des
services de police vers dautres avenues.
Enfin, de même que les municipalités ont exercer un important pouvoir
de lobbying politique pour obtenir des modifications à la loi pénale
au début des années 1980, elles disposent dun pouvoir équivalent
pour demander aux législatures provinciales et fédérales
dadopter dautres politiques relativement à la prostitution.
On la vu à Toronto lorsque la mairie a expressément et publiquement
demandé au ministre fédéral de la Justice de décriminaliser
la prostitution et den permettre la réglementation par les provinces
et municipalités.
Bref, les municipalités, individuellement ou par le biais de la Fédération
canadiennes des municipalités, ne sont pas dépourvues de possibilités
daction. Si tel est le cas, on se demanderait bien dailleurs quelle
serait lutilité du Comité montréalais sur la prostitution.
Des options juridiques divergentes
La criminalisation dun comportement est le fait délever, dans
le Code criminel qui est de juridiction fédérale, une prohibition
contre ce comportement. La judiciarisation consistera à amener devant les
tribunaux la personne accusée dun comportement criminalisé.
La pénalisation de ce comportement sera la sanction, associée à
la valeur de la peine qui en découle.
La décriminalisation consiste à abroger - abolir - la prohibition
du comportement dans le Code criminel et par conséquent la peine, suivant
ladage nulla poena sine lege. Décriminaliser les activités
reliées à la prostitution - la communication par exemple, comme
le recommandait le Comité Fraser - signifie donc quil ne sagit
plus de crimes.
Par contre, dautres infractions existent qui, sans constituer des crimes,
peuvent entraîner des peines, quon appellera plutôt des sanctions:
ce sont les infractions prévues aux législations provinciales ou
aux règlements municipaux, par exemple en matière de circulation
routière.
La légalisation de la prostitution, par exemple selon une approche telle
que celle recommandée par le Comité Fraser, consisterait à
inciter les provinces et/ou les municipalités - sans quelles y soient
cependant obligées - à adopter des lois prévoyant la création
de maisons de prostitution. En ce sens, la légalisation habilitante prévoirait
des droits et obligations, de même que les sanctions que le non-respect
de ces obligations, tel que le non-paiement du permis dexploitation, entraînerait.
Des orientations pour Montréal
Lanalyse du Comité
Le Comité est effectivement davis, avec les groupes de soutien des
prostituées, que les discriminations et les violences que ces personnes
subissent ne sont pas acceptables dans une société de droit et quelles
contribuent de surcroît à les maintenir dans une situation de domination
ainsi quà limiter leurs options.
Cependant, le Comité nest pas prêt à se prononcer sur
la question de savoir si la prostitution par des adultes consentants qui ne sont
pas forcés dune quelconque manière à sy livrer
par dautres personnes, doit être considérée comme un
métier comme un autre. Inversement, le Comité naccepte pas
davantage de ranger les prostitué-e-s adultes au rang de « victimes
» du seul fait de leur occupation.
Le Comité a examiné avec intérêt les position du SPCUM.
Lanalyse des résultats obtenus par vingt ans de recours au moyens
traditionnels darrestation de prostitué-e-s et de leurs clients nous
oblige à en constater les limites, notamment quant à la paix sociale
dans les quartiers et aux conditions qui sont faites aux femmes qui font de la
prostitution.
Comme nous lavons déjà mentionné, il ne convient pas
de décider davance que les prostituées sont des victimes,
ni de se servir dune telle argumentation pour justifier une intervention
de nature répressive comme la suggèrent les documents que nous a
fournis le SPCUM.
De surcroît, les acteurs sur le terrain, policiers et substituts du procureur
en particulier, disposent dun pouvoir discrétionnaire qui leur permet
dans plusieurs cas de décider ici quun acte criminel sera dénoncé
et poursuivi, là quil ne le sera pas.
Enfin, nous avons vu que les municipalités peuvent, à lintérieur
de certaines limites, exercer dautres formes de contrôle sur certaines
activités à caractère commercial, dont certaines reliées
au commerce du sexe.
En somme, le fait quune activité ou des gestes tombent sous lemprise
du Code criminel ne signifie pas obligatoirement que décideurs et acteurs
locaux nont plus dautre pouvoir que celui de les détecter et
de les poursuivre en justice.
Le Comité a aussi reçu avec intérêt le mémoire
du contentieux de la ville de Montréal. Sans nier le bien-fondé
de largumentation juridique du contentieux, il convient néanmoins
de rappeler quelques faits qui jettent un éclairage légèrement
différent.
En premier lieu, sur le rôle du droit pénal. Les auteurs du document
ont suggéré que le rôle du droit pénal consiste à
contribuer au maintien de comportements individuels acceptables pour la société
et à promouvoir certaines valeurs sociales.
Dans leur rapport sur le programme de réinsertion sociale, les auteurs
observent que « la prostitution nuit, dans certains secteurs de la Ville
de Montréal, à la tranquillité des personnes y résidant.
»19
On peut sinterroger sur la portée des termes « obligation dassurer
la paix et la sécurité » et se demander si la «tranquillité»
en fait partie. De plus, il ne faut pas oublier le fait que très souvent
les personnes qui font de la prostitution dans les quartiers sont aussi des résidantes,
des usagers et des bénéficiaires dautres services, y incluant
des services juridiques et des droits fondamentaux des personnes.
Vue sous cet angle, lintervention du droit pénal se justifie dans
la mesure où le comportement visé cause ou menace de causer un préjudice
grave: il nous faut nous demander si et dans quelle mesure la prostitution de
rue cause effectivement un préjudice grave. Du point de vue des prostituées,
si le préjudice est grave, il devrait lêtre aussi lorsquelles
travaillent dans les agences descorte, les bars de danse, les salons de
massage, les hôtels de luxe. Or, on sait que bien peu dattention est
portée à ces formes de prostitution et moins encore daccusations
portées. Du point de vue de la société, il faut se demander
si cest véritablement la prostituée sur la rue qui cause un
préjudice grave ou si cest la piquerie située dans le quartier,
le comportement des hommes envers les femmes, voire le fait que la prostitution
soit un symptôme trop visible dune désorganisation sociale
par ailleurs bien plus large.
En second lieu, sur les objectifs de lintervention pénale. La criminalisation
et la pénalisation de comportement nont pas pour objectif daider
les personnes à se sortir de leur milieu criminalisé ou à
les réinsérer. Elles ont pour objectif la dénonciation de
comportements répréhensibles qui causent un préjudice. Cest
la politique correctionnelle qui, en retour, définira les objectifs que
doit poursuivre la peine. Faire des policiers ou des procureurs des agents de
réinsertion sociale les détourne de leur mandat et de leur rôle.
Ce peut être une évolution souhaitable. Il faut néanmoins
se positionner clairement sur ce choix et ses motivations.
En troisième lieu, il convient de rappeler que, pour louables quils
soient, les objectifs de faire prendre conscience et de favoriser la sortie du
milieu criminalisé par lintervention pénale ont, le plus souvent,
leffet contraire.
Enfin, sur le rôle du crime organisé, il convient dapporter
des bémols. Tous, en effet, ne sentendent par sur létendue
de ce prétendu contrôle des prostituées par des éléments
mafieux.
De plus, si cest au crime organisé quon veut sen prendre,
il existe dautres moyens et il est difficile de voir en quoi sen prendre
aux prostituées de rue constitue une manière de lutter efficacement
contre ces organisations criminelles.
En somme, la position des procureurs de la Cour municipale aurait pour effet de
poursuivre, dans une large mesure, la politique actuelle, tout en lui adjoignant
de manière systématique et continue un programme de mesures de rechange
semblable à celui qui était en place jusquà récemment.
On peut toutefois se demander dans quelle mesure la continuation de cette approche
permettrait datteindre les objectifs de paix et de sécurité
pour les citoyens, dans un cadre humanitaire pour les prostituées.
Quelques principes daction
En matière de prostitution de rue, le Comité est davis quil
convient quune action repose sur une politique de sécurité
publique qui doit être inclusive, viser à lhabilitation
des quartiers et des citoyens et citoyennes et promouvoir la responsabilisation.
Pareille politique invite à une action concertée et multisectorielle
qui doit inclure les quartiers, les services de sécurité publique,
les services sociaux et dassistance, les organismes chargés de léducation,
de lemploi, etc.
Une politique de sécurité publique, telle que nous la concevons,
doit voir au respect de lintégrité et de la dignité
de tous. Nous concevons que les résidants des quartiers concernés
par la prostitution de rue vivent et expriment des frustrations légitimes
qui appellent une réponse publique. Au même moment, il faut aussi
se rappeler que les prostitué-e-s de rue font aussi partie du quartier
et de la collectivité, et quil convient de les inclure dans la recherche
de solutions responsables pour tous.
La judiciarisation sera préférablement un outil de dernier recours,
lorsque tout le reste a échoué. Or, ce « tout le reste »
na pas été défini, mis en uvre, testé.
On sest contenté de retourner aux mécanismes connus
sans jamais être satisfait de leur action, et pour cause.
Cest donc une approche participative et intégrative que le
Comité convie la Ville de Montréal à adopter dans les recommandations
qui suivent.
Recommandation 1
Il est recommandé que la Ville de Montréal crée un Comité
consultatif permanent présidé par un-e élu-e de la Ville
de Montréal.
Le Comité consultatif permanent pourrait être formé des représentants
suivants: Service de police de la Communauté urbaine de Montréal,
quartiers visés par le projet, prostitué-e-s, organismes sociaux
et communautaires, milieu institutionnel, milieu des affaires, milieu universitaire,
milieu juridique.
Recommandation 2
Il est recommandé que la Ville de Montréal soutienne la mise en
place dun projet pilote basé sur une approche de non-judiciarisation
en matière de prostitution de rue chez les adultes et quelle en avise
les autorités policières, judiciaires, sociales et communautaires
pertinentes.
Recommandation 3
Il est recommandé que le projet pilote de non-judiciarisation, pour quil
soit efficace, réponde aux préoccupations des citoyens et des citoyennes,
et permette la mise en commun des ressources, expertises et connaissances, saccompagne
des deux mécanismes dintervention suivants:
Recommandation 4
Le projet pilote de non-judiciarisation débutera aussitôt que les
conditions nécessaires à sa mise en uvre auront été
développées et approuvées.
Recommandation 5
En plus de participer activement au Comité consultatif permanent, au Comité
de travail multipartie et léquipe-terrain de travail paritaire, le
SPCUM centrera ses interventions en matière de prostitution sur:
a) les violences et notamment les violences envers les prostitué-e-s;
b) lexploitation des juvéniles; et
c) le proxénétisme.
Recommandation 6
Puisquil sagit dun projet pilote de non-judiciarisation qui
demandera du temps avant de démontrer sa capacité à mieux
harmoniser les expériences de lensemble des partenaires concernés,
il convient que le comité consultatif permanent mette en place un mécanisme
de recherche-action afin de suivre la mise en uvre du projet pilote.
Recommandation 7
Le Comité consultatif permanent sentend pour définir le cadre
opérationnel du projet basé sur une approche de non-judiciarisation
de la prostitution de rue chez les adultes, comme suit:
Recommandation 8
Recommandation 9
Chacun des partenaires au projet pilote basé sur une approche de non judiciarisation
de la prostitution de rue chez les adulte sengage à en faciliter
la mise en uvre et à agir en conformité avec les lois et règlements
qui les régissent.
Notes