

Crimes et femmes |
Automne 2001 |
Rapport du Comité de réflexion de la FFQ sur la prostitution
et le travail du sexe
Bien que la question de la prostitution et du travail du sexe soit posée
depuis près dun siècle, celle-ci est devenue une priorité
pour le mouvement international des femmes depuis Beijing puisquelle est
considérée comme un enjeu majeur pourle respect des droits des
femmes. Dans le contexte de la libéralisation des marchés, lindustrie
du sexe sest considérablement développé. Aucun pays
naurait échappé au développement phénoménal
de cette industrie qui rapporterait près de 52 milliards par année.
Et selon des études de lONU, ce phénomène toucherait
largement les femmes issues des pays les plus pauvres.
Au Québec, le mouvement des femmes se sent particulièrement interpellé
par cette question du fait quelle a constitué lune des revendications
de la Marche mondiale des femmes à la fois au niveau international et
national. Même si les deux revendications ont reçu une large adhésion,
elles nont pas fait lunanimité. En effet, le sujet suscite
la controverse. Deux visions saffrontent et divisent les féministes,
ici comme ailleurs. Voyons de quelle façon ces tendances sexpriment
dans le mouvement des femmes et comment elles sont à lorigine de
notre comité de travail.
DEUX VISIONS
Volet international
À lautomne 1998, lors de la première rencontre internationale
de préparation de la Marche mondiale des femmes, 140 déléguées
venant de 65 pays, chargées délaborer une plate-forme commune,
font consensus, au chapitre de la violence, sur la revendication suivante :
Que la Convention de 1949 pour la répression et labolition de
la traite des êtres humains et de lexploitation de la prostitution
dautrui soit assortie dun mécanisme dapplication qui
tienne compte des documents récents dont les deux résolutions
de lassemblée générale de lONU (1996) concernant
le trafic des femmes et des fillettes et la violence à légard
des femmes migrantes. (V6)
Par la suite, la revendication suscite des réactions. En présence
: deux grandes coalitions internationales qui vont représenter des visions
opposées. Dun côté, la Global Alliance Against Trafficking
in Women (GAATW) qui fait parvenir une lettre à plusieurs groupes les enjoignant
de retirer leur appui à la revendication V6. Son argument est à
leffet que la Convention de 1949 nest pas un bon instrument pour sattaquer
au trafic des femmes et des enfants. Elle considère entre autres que cette
Convention ne comporte aucune définition du trafic, ne fait pas de distinction
entre trafic et prostitution et ne tient pas compte de la position des femmes
en tant que travailleuses et migrantes. De lautre, la Coalition Against
Trafficking in Women (CATW) qui appuie la Convention de 1949 avec lajout
dun protocole et de mécanismes de surveillance. Elle croit que cette
Convention est le seul instrument qui reconnaît le phénomène
de la prostitution comme étant un abus des droits humains et que cest
un acquis important pour les femmes.
Ces coalitions représentent donc les deux grands courants de pensée
qui divisent actuellement le mouvement international des femmes et qui traversent
également le mouvement des femmes au Québec.
Dune part, il y a des féministes qui considèrent que la prostitution
relève de lexploitation sexuelle des femmes et quelle constitue
une violation des droits humains. Elles estiment que ce phénomène
représente lune des expressions les plus fortes de loppression
des femmes et de la violence patriarcale. En conséquence, elles nenvisagent
pas de solutions en dehors de lélimination des rapports de domination
entre les hommes et les femmes. Elles sont contre la criminalisation des prostituées
et, à long terme, visent labolition de la prostitution.
Dautre part, il y a celles qui considèrent que le problème
est lillégitimité de la prostitution comme travail. Pour ces
féministes, la stigmatisation et la criminalisation des travailleuses du
sexe et de lindustrie est à la source des violations des droits des
femmes prostituées et des violences quelles subissent. Pour elles,
la solution est du côté de la décriminalisation totale de
lindustrie du sexe et la reconnaissance de la prostitution comme travail
légitime. Celles-ci ont au cur de leur analyse la capacité
daction et dauto-
organisation des travailleuses du sexe. Elles proposent dutiliser les lois
existantes en matière de travail et de violence pour contrer les abus,
les fraudes et les diverses formes de violence que subissent ces travailleuses.
Pour les deux courants de pensée, les solutions à la stigmatisation
et à la violence que vivent les femmes prostituées se situent dans
un contexte de lutte pour légalité de toutes les femmes.
Même le langage rend compte de ces divergences. En effet, les mots ont une
signification importante parce quils décrivent la façon dont
nous concevons la chose. Le terme «prostitution» évoque lexploitation
sexuelle des femmes alors que le terme «travail du sexe» fait référence
à une activité économique qui, tout en reconnaissant lexistence
de la violence et de lexploitation à lintérieur de lindustrie
du sexe, situe le débat dans le domaine des droits des travailleuses. Dans
le présent document, nous emploierons les deux termes en respectant le
choix de chacune quant à cette question.
Malgré le fait que les débats soient toujours polarisés,
le GAATW et la CATW ont participé, à Genève, en 1999, à
un groupe de travail, mis sur pied par lONU sur les formes contemporaines
de lesclavage. Au-delà de leurs divergences, les représentantes
de ces coalitions ont réussi à faire consensus sur un certain nombre
de points notamment en ce qui a trait à la décriminalisation des
femmes trafiquées et prostituées. Mais le mouvement des femmes doit
poursuivre la réflexion et développer des actions qui protégeront
véritablement les femmes concernées.
Volet national
À lautomne 1999, la Coalition nationale des femmes contre la pauvreté
et la violence faite aux femmes adoptait vingt revendications pour la Marche
mondiale des femmes, volet québécois. Lune de ces revendications
portait sur le travail du sexe. Il sagissait dune revendication large
portant sur le respect des droits et de la dignité des travailleuses du
sexe notamment dans leurs rapports avec la police et les services sociaux et de
santé.
Une brève consultation avait précédé cette décision.
Le comité, spécialement chargé des revendications concernant
la violence, avait produit un document de réflexion sur le sujet, document
qui proposait la décriminalisation et la déjudiciarisation du travail
du sexe. La question souleva beaucoup de débats et ne fit pas lunanimité.
Toutefois, un consensus sest dégagé et les déléguées
ont appuyé, par un vote majoritaire, la résolution suivante:
Lélimination de la discrimination et de la violence à
légard des travailleuses du sexe notamment dans leurs rapports
aux services sociaux, judiciaires, policiers et de santé.
La Coalition a aussi adopté une seconde résolution qui allait dans
le sens de poursuivre la réflexion, demandant à la Fédération
des femmes du Québec den prendre la responsabilité. Un comité
de travail, composé de sept personnes, fut mis sur pied sous la responsabilité
de la présidente. Ce comité a reçu du Conseil dadministration
de la FFQ le mandat suivant : effectuer les réflexions et les travaux
nécessaires à la production dun document servant de base à
lorganisation dune tournée dans toutes les régions du
Québec. Le document devait contenir des propositions à être
discutées par les membres de la FFQ. Suite à la tournée,
le Conseil dadministration devrait apporter des propositions à lassemblée
générale du printemps 2002.
TRAVAUX DU COMITÉ
Cest donc avec ce mandat en poche que le comité a commencé
ses travaux en faisant appel, à quelques reprises, à des ressources
extérieures :
- Lise Cadieux, directrice de Passages, organisme qui offre hébergement
et soutien aux jeunes femmes en difficulté;
- Léonie Couture, coordonnatrice de la Rue des femmes, organisme
qui vient en aide aux femmes itinérantes;
- Jocelyne Lamoureux, professeure en animation culturelle au département
de sociologie de lUQAM et membre du C.A. de lorganisme Stella.
Les rencontres se sont déroulées
dans un climat serein où les débats, nombreux, nont pas
empêché lécoute et le respect mutuel. Plusieurs questions
nétaient pas faciles et ont soulevé beaucoup de discussions:
le travail du sexe, un métier comme un autre; le trafic sexuel des femmes
et des fillettes dans un contexte de mondialisation; la prostitution et les
lois; la protection des travailleuses du sexe face à lexploitation
et la violence; les différents courants féministes sur la sexualité;
la responsabilité et les besoins des hommes «clients» dans
cette industrie
Le comité na pas résolu, loin de là, tous les
aspects que la question de la prostitution et du travail du sexe soulève,
chez nous comme partout dans le monde. La question est vaste et complexe. Cependant,
nous avons mis laccent sur les recommandations qui faisaient consensus
parce que nous reconnaissions lurgence dagir. Nous considérons
que le débat nest pas terminé et que le présent document
ainsi que la tournée de consultation auquel il va donner lieu ne sont
quune étape dans une réflexion à long terme, qui
concerne non seulement le mouvement des femmes mais toute la société
québécoise.
Vous constaterez, en lisant la section sur les recommandations, que nous sommes
arrivées à un consensus solide sur la décriminalisation
des activités exercées par les prostituées et les travailleuses
du sexe. La décriminalisation des activités pratiquées
par les clients des travailleuses du sexe a fait lobjet dun accord
majoritaire. Par contre, nous navons pas fait consensus sur la question
du proxénétisme. Nous demeurons extrêmement préoccupées
par la question de la prostitution des adolescentes et des fillettes et, à
ce sujet, nous ne tolérerons aucun compromis. Nous constatons aussi que
pour plusieurs travailleuses du sexe, les activités quelles pratiquent
et les services quelles vendent contre rémunération leur
apparaissent comme un travail. Nous leur reconnaissons la liberté de
choix quelles revendiquent comme nous le reconnaissons pour lensemble
des femmes.
Les travaux du comité ont été traversés par les
tendances que nous venons dévoquer et qui sont présentées
dans les deux textes danalyse. Cependant, dans ce débat, les membres
du comité sont demeurées vigilantes et se sont bien gardées
de porter des jugements sur lune ou lautre des positions défendues.
Nous vous invitons à faire preuve de la même vigilance dans les
discussions qui entoureront cette question.
Pour celles qui favorisent labolition de la prostitution, quil suffise
de rappeler que cette position trouve des alliés au sein de la droite
politique et religieuse. Quant à celles qui défendent que le travail
du sexe est un travail légitime, elles courent le risque de cautionner
lexistence dune industrie mondiale qui fait des milliards sur le
dos des femmes. Comme on le voit, des jugements à lemporte-pièce
fausseront le débat et pourront porter un coup fatal à la solidarité
dont nous avons grand besoin pour que le mouvement des femmes ne soit pas divisé
au sortir des discussions.
NÉCESSITÉ DAGIR
Au cours de nos travaux, des événements sont venus troubler notre
quiétude et nous rendre encore plus conscientes de la nécessité
dintervenir rapidement. Un projet visant à développer une
alternative à la judiciarisation des prostituées dans le quartier
Centre-sud de Montréal a été fort mal accueilli par une
proportion importante des résidents-es du quartier. Des consultations
publiques, organisées par la Ville de Montréal, en mars 1999,
ont très mal tourné. Des gestes de violence ont été
posés à lendroit des groupes qui défendent les prostituées
mais aussi à lendroit des «marginaux» du bas de la
ville. Le projet a dû être abandonné.
Le comité a consacré toute une rencontre pour tenter de comprendre
ce qui sétait passé et à prévoir une réaction
publique dans le cas où les choses senvenimeraient. Des femmes,
résidentes de Centre-sud, ont lancé un appel au calme et au dialogue
lors dune conférence de presse quelles ont tenue en juin.
Finalement, en août, la FFQ a participé à une conférence
de presse, organisée par lorganisme Stella, en vue de dénoncer
une recrudescence de la violence à lendroit des prostituées.
Quoique nous pensions de la prostitution ou de lindustrie du sexe, les
femmes qui se trouvent dans ce milieu comptent sur le respect, la compréhension
et la solidarité des féministes. Nous ajoutons que notre solidarité
doit sexprimer dune façon particulière du fait de
lextrême mépris et de la discrimination dont elles sont lobjet.
Il y a maintenant plusieurs années, en effet, que la Fédération
sest donné comme priorité de défendre les femmes
pauvres et les plus marginalisées.
Lutte des travailleuses du sexe: perspectives féministes
par Claire Thiboutot, Stella
Né au début des années soixante-dix aux États-Unis
et en Europe, le mouvement des travailleuses du sexe sest étendu
au reste de la planète à partir du milieu des années 1980
et rassemble aujourdhui des groupes de travailleuses du sexe des cinq continents.
Au Québec, deux tentatives dorganisation des travailleuses du sexe
eurent lieu en 1986 - lors de la mise sur pied de lAlliance pour la sécurité
des prostituées (ASP) - et en 1992 avec la fondation de lAssociation
québécoise des travailleuses et travailleurs du sexe (AQTTS). Ces
deux initiatives ont précédé - et inspiré? - la création
de lorganisme Stella en 1995.
Les groupes de travailleuses du sexe poursuivent lun, lautre ou lensemble
des objectifs suivants: offrir soutien et information aux travailleuses du sexe,
lutter contre la discrimination qui leur est faite et promouvoir la décriminalisation
des métiers du sexe. Contrer lisolement des travailleuses du sexe,
favoriser leur autonomie dans lindustrie du sexe et dans lensemble
de leur vie ainsi que soutenir le développement des solidarités
sont également au cur des préoccupations de ces groupes.
Depuis 30 ans, lauto-organisation des travailleuses du sexe a permis leur
émergence comme sujets de leurs expériences, de leurs subjectivités
et de leur paroles.
La lutte des travailleuses du sexe est une lutte pour le respect de leurs droits
humains fondamentaux, droits qui leurs sont niés systématiquement
dans un contexte socio-légal où elles sont considérées
comme des criminelles et stigmatisées comme putes.
Le travail du sexe : différents jobs, différentes conditions
Au cours des dernières décennies, de nombreux changements sociaux,
légaux, économiques et culturels ont modifiés les activités
de lindustrie du sexe. Par exemple, à Montréal la prostitution
de rue autrefois concentrée autour de laxe formé par le boulevard
Saint-Laurent et la rue Sainte-Catherine sest déplacé, à
partir du milieu des années 1980, vers différents quartiers résidentiels
de la ville, causant un éparpillement géographique des prostituées
de rue. Suite à la fermeture des bordels, plus ou moins tolérés
jusquau milieu du vingtième siècle, les salons de massage
ont fait leur apparition de même que les agences de call-girls et descortes,
soutenus en cela par les développements technologiques en matière
de communications (téléphonie, Internet). La disparition des cabarets
où se produisaient les stripteaseuses a laissé la place aux bars
de danseuses nues, avec ou sans «contacts».
Si les modalités de pratiques de la prostitution ont changé de même
que les contextes de spectacle érotique et sexuel, ces différentes
activités sont toutefois demeurées contrôlées par des
réglementations municipales et provinciales et pénalisées
dans certains cas en vertu du Code criminel canadien. Les personnes (en majorité
des femmes
) qui pratiquent ces activités sont contrôlées
ou criminalisées en vertu de ces lois et règlements: elles sont
considérées socialement comme des hors-la-loi et des criminelles.
Elles sont aussi marginalisées socialement comme «putes».
Nous nommons «travail du sexe» lensemble des pratiques où
il y a échange dargent ou de biens contre un ou des services sexuels:
la prostitution de rue, les services descortes, la danse nue, le massage
érotique, le téléphone érotique etc. Du point de vue
des personnes qui exercent ces pratiques, le concept de travail du sexe permet
de mettre de lavant la dimension économique de ces activités.
Il implique que nous percevions le travail du sexe, non pas comme une identité,
une caractéristique sociale, légale ou psychologique des personnes
qui le pratiquent, mais comme une activité génératrice
de revenu. (Kempadoo & Doezema 1998). Le travail du sexe consiste autrement
dit en la vente de sa force de travail pour laccomplissement dactes
de nature érotique ou sexuelle contre rémunération. La capacité
pour une travailleuse du sexe de négocier les différents termes
de ses services (actes, tarifs et durée) dépend des conditions dans
lesquelles elle travaille. Ces conditions sont extrêmement variables selon
les contextes et peuvent varier de la relative autonomie à des conditions
de quasi-esclavage.
De même quil y a différentes pratiques de travail du sexe,
il y a autant de genres de personnes différentes qui travaillent dans lindustrie
du sexe. Les activités de lindustrie étant dans plusieurs
cas illégales, elles se pratiquent dans la clandestinité et changent
fréquemment dadresses et de lieux de pratiques. Doù
la difficulté à tracer un portrait représentatif des personnes
qui y travaillent. En étant très prudentes, on peut tout de même
affirmer que :
- des femmes dorigines socio-économiques variées et avec
des conditions de vie très différentes travaillent dans lindustrie;
- ce nest pas une occupation à temps plein pour plusieurs et
rares sont les personnes qui demeurent à lemploi de lindustrie
toute leur vie adulte.
Les médias et la plupart des recherches
effectuées à ce jour ayant porté leur attention principalement
sur les segments les plus visibles des pratiques de travail du sexe, il est
difficile de faire des généralisations à propos de lensemble
des travailleuses du sexe à partir de leurs résultats, de leurs
portraits. Nous avons des informations concernant des prisonnières, des
personnes en cure de désintoxication etc. Quelques-unes de ces informations
sont relatives au travail du sexe dans le parcours de vie de ces femmes. Par
contre nous avons peu dinformation sur des femmes qui ont pratiqué
le travail du sexe au cours de leur vie mais qui nont jamais été
emprisonnées, jamais traitées en désintoxication ou nont
jamais fréquenté de ressources en santé ou en hébergement
offrant directement des services aux prostituées et autres travailleuses
du sexe (Pheterson 1996).
Le concept du travail du sexe : une stratégie
Le concept du travail du sexe met de lavant la dimension économique
des activités dont il est question. La reconnaissance de la légitimité
de ce travail permettrait aux travailleuses du sexe de lutter plus efficacement
contre les conditions dexploitation dans le travail, contre les abus et
la discrimination. Pour les travailleuses du sexe ce nest pas le travail
du sexe qui est un problème mais le contexte socio-légal dans
lequel il est pratiqué qui brime leurs droits et libertés et favorise
les abus et la discrimination. Le travail du sexe nétant pas reconnu
demeure invisible, méconnu et pratiqué dans la clandestinité.
Nous ne revendiquons pas «
la reconnaissance dune distinction
entre le travail du sexe librement choisi et les situations dabus et de
violence». Ce que nous revendiquons cest la reconnaissance de la
légitimité du travail du sexe, cette légitimité
étant la seule garantie possible de la mise en application de moyens
réels et concrets de lutter contre les abus, la violence et lexploitation
dans tous les contextes où sont pratiqués le travail du sexe,
sans distinction.
Nous reconnaissons la prostitution et le travail du sexe comme lune des
quatre grandes institutions à la base de loppression des femmes:
contrainte à lhétérosexualité, reproduction,
mariage, prostitution (Pheterson 1996). Tout comme nous avons lutté comme
féministes pour la reconnaissance du travail «invisible»
des femmes à lintérieur de ces institutions - éducation
des enfants, soins aux malades, travail domestique, etc. - et contre les abus
et les violences qui y prenaient place (et y prennent toujours place dans plusieurs
cas), nous revendiquons la même reconnaissance pour ce qui con-cerne le
travail du sexe. Sans cette reconnaissance, nos stratégies et nos actions
visant à des changements relatifs aux conditions de vie et de travail
des femmes sont vouées à léchec. Cette reconnaissance
passe par la décriminalisation complète du travail du sexe.
À partir de nos expériences, nous savons que toute lutte contre
lindustrie a des effets directs sur les femmes qui pratiquent le travail
du sexe, perpétue leur marginalisation et leur stigmatisation et laisse
le champ libre aux abus de toutes sortes. Pour nous, il est clair que personne
ne devrait être criminalisé pour participer à des échanges
sexuels commerciaux ou pour les faciliter. En effet, toute stratégie
abolitionniste (y compris celles visant uniquement les clients et le proxénétisme)
contribue au maintien de la clandestinité de lindustrie et accroît
les possibilités dabus. Cette stratégie permet aussi aux
gouvernements de mettre en place des mesures répressives et coercitives
envers lindustrie du sexe se traduisant invariablement par des mesures
de contrôle des travailleuses du sexe. Des descentes de police plus fréquentes
dans les bordels et autres lieux de pratiques du travail du sexe mènent
à une augmentation des abus envers les personnes qui y travaillent. De
plus, définir la prostitution et le travail du sexe comme formes dexploitation
sexuelle et violation des droits humains des femmes tel quil est fait
dans un cadre danalyse abolitionniste a de graves conséquences
pour lensemble des femmes, car cette définition maintient le
caractère illicite et transgressif de linstitution de la prostitution
et soutient la pérennité du stigma « pute ».
Pute et criminelle
Le stigma « pute » et les lois anti-prostitution sont parties intégrantes
dun système politique qui refuse daccorder aux femmes le
plein respect de leurs droits humains. Les concepts de prostitution et de prostituée
sont des instruments sexistes de contrôle social. Lexamen des mécanismes
sous-jacents de ces instruments légitimant tant dinjustices nous
mènent toujours du contexte spécifique du travail du sexe aux
questions plus générales concernant les luttes des femmes pour
leur autonomie économique, corporelle, social et sexuelle (Pheterson
1996).
En effet, le stigma « pute », quoique ciblant en premier lieu les
femmes prostituées, contrôle toutes les femmes. Si les prostituées
et autres travailleuses du sexe représentent la pute, et par définition
sont coupables, les autres femmes sont toujours suspectes. Le stigma pute est
un instrument de contrôle sexiste prêt à lusage pour
attaquer toute femme ou groupe de femmes considérées trop autonomes,
par résistance ou par expression. Les femmes peuvent être également
stigmatisées comme putes en raison de leur travail, couleur, classe sociale,
sexualité, expériences dabus, origine ethnique, leur statut
marital ou leur genre (Pheterson 1996).
Le stigma « pute » pervertit aussi notre langage. Par exemple, du
point de vue des travailleuses du sexe, la vente de services sexuels néquivaut
pas à «vendre son corps» et ne saurait être comparé
à la vente dorganes. Cette dernière comparaison, où
il y a perte irréversible dun organe du corps humain, ne correspond
pas à lexpérience des femmes qui pratiquent une forme ou
une autre de travail du sexe. En effet celles-ci nexpérimentent
pas une perte irréversible de quelque chose de profondément essentiel
et vital à leur corps et à leur personne à travers la pratique
du travail du sexe. Lidée que lon se fait dune telle
perte a plutôt à voir avec la définition sociale dune
pute, dune femme déchue, cest-à-dire dune femme
qui a perdu respectabilité et légitimité à cause
de son comportement sexuel transgressif.
Il faut comprendre que la norme, dans le cadre des institutions patriarcales,
est que les femmes fournissent des services sexuels (ainsi que domestiques)
aux hommes gratuitement. Le caractère transgressif de linstitution
de la prostitution est que les femmes demandent explicitement de largent
ou une forme de rémunération quelconque pour ces services. Cest
dailleurs ce qui explique que les lois anti-prostitution ne sont pas des
lois qui condamnent les abus, la discrimination, donc des lois qui protégeraient
les femmes, mais bien des lois qui condamnent les initiatives économiques
et géographiques des femmes, de leurs associés, entourage ou patrons
(Pheterson 1996). En effet, au Canada, par exemple, la prostitution nest
pas illégale en soi, mais tenir une maison de débauche lest
ainsi que vivre des fruits de la prostitution dautrui (proxénétisme).
Les lois anti-prostitution ne sont rien dautre finalement que la transposition
légale des mesures patriarcales de contrôle social des femmes quest
la stigmatisation. Le contrôle du corps des femmes sexerce ainsi
en limitant leurs libertés économiques (non-reconnaissance de
la vente de service sexuels comme travail des femmes et condamnation criminelle
de lactivité) et leur liberté de se déplacer et dimmigrer.
Ces lois nont jamais réussi à éliminer lindustrie
du sexe ni la demande pour des services sexuels. Surtout, elles nont jamais
empêché des femmes de recourir au travail du sexe pour gagner leur
vie. Par contre, ces lois anti-prostitution sont un obstacle majeur aux respects
des droits humains des femmes travailleuses du sexe. Stigmatisées comme
pute, leur travail nétant pas reconnu comme tel, elles font face
à de nombreuses difficultés et discriminations notamment en matière
daccès à la protection de leur santé et de leur sécurité.
Elles ne peuvent chercher à être protégées par les
normes en matière de santé et sécurité au travail.
Victimes dactes criminels ou dagressions, leurs demandes daide
ou dindemnisations sont rejetées : « Tas juste à
changer de job », « Tas couru après ». Au plan
juridique, la criminalisation du travail du sexe a aussi pour conséquence
que les travailleuses ont des dossiers criminels et des amendes à payer
onéreuses. Le but de la décriminalisation est de contrecarrer
ces actes non éthiques et abusif à légard des travailleuses
du sexe (et de toute femme stigmatisée comme pute). Ces actes comprennent
aussi: harcèlement et extorsion par la police ou dautres autorités,
absence de traitement juste et équitable durant larrestation, emprisonnement
sans procès, absence denquête ou de prévention des
crimes commis contre des travailleuses du sexe et menaces et représailles
contre la famille et lentourage des travailleuses du sexe (notamment dans
lapplication des lois sur le proxénétisme).
Mondialisation
Dans le contexte actuel de mondialisation, les conditions de vie des femmes
sont de plus en plus difficiles. La dégradation de ces conditions de
vie est encore plus notable pour les femmes des pays désavantagés
économiquement et dont les économies domestiques et de subsistance
ont été transformées. Dans ce contexte où les options
pour gagner sa vie sont réduites, et où le fardeau de la responsabilité
du support de leurs familles incombe en grande partie aux femmes, celles-ci
ont à migrer en très grand nombre afin de trouver un moyen de
subsistance viable (GAATW 1997).
Le marché du travail étant encore très marqué par
la division sexuelle du travail, les femmes sont généralement
reléguées au secteur des services. Le travail des femmes dans
ce secteur est encore très souvent informel, sous-payé, non protégé,
non syndiqué, et dans le cas du travail du sexe, criminalisé.
Le résultat de cette conjoncture est une marginalisation persistante
des femmes sur le marché du travail, et une féminisation de la
pauvreté et de limmigration (GAATW 1997).
Les mouvements de migration à léchelle nationale, régionale
et internationale des femmes reflètent cette division du travail avec
un nombre croissant de femmes migrantes répondant aux demandes nationales
et internationales pour des travailleuses domestiques, des partenaires de mariage,
des travailleuses du sexe et des travailleuses en manufactures. En même
temps, plusieurs États ont mis en place des politiques dimmigration
restrictives qui affectent les femmes migrantes en les rendant plus vulnérables
aux abus, à la pauvreté et à la violence, et moins en mesure
de négocier des salaires et des conditions de travail équitables
(GAATW 1997).
Le trafic des femmes et limmigration des femmes liée au travail
doivent être compris dans ce contexte de rôles féminins traditionnels,
des désavantages structurels dont les femmes sont lobjet dans un
marché du travail sexué, et de la féminisation de limmigration
à léchelle du monde. La diminution des opportunités
de migration pour du travail légal combinée à une demande
dans le secteur tertiaire pour le travail sexuel, domestique et manufacturier
crée une contradiction entre les politiques officielles et les demandes
réelles (GAATW 1997).
Des tierces parties, peu scrupuleuses, prennent avantage de cette contradiction.
Le caractère non reconnu et la non-régulation du travail des femmes
dans ces secteurs couplés à labsence ou linadéquation
des normes du travail et des législations dans ces domaines (voire la
criminalisation) créent les conditions permettant des pratiques de recrutement
frauduleuses et des conditions de travail abusives (GAATW 1997), sans parler
des conditions inhumaines et dangereuses des transports illégaux de clandestins.
Il nous faut lutter contre les politiques économiques, nationales et
internationales, qui accroissent la pauvreté des femmes et ont un impact
sur leurs conditions de vie. Il nous faut dans le même temps, lutter pour
la reconnaissance et la légitimité du travail formel et informel
des femmes, y compris le travail domestique et le travail du sexe, et combattre
les abus et les conditions dexploitation dans ces sphères de travail.
Il nous faut questionner les politiques dimmigration des pays occidentaux
qui réduisent les capacités des femmes dimmigrer et de travailler
légalement. Il nous faut encourager lapplication des lois et des
efforts pour arrêter la fraude et la coercition dans lembauche et
le recrutement des femmes que ce soient dans le cadre du travail domestique,
manufacturier ou du sexe. Toutes les travailleuses devraient être protégées
des situations dexploitation mais cela doit être fait via des lois
contre les abus et non pas des lois contre la prostitution. Il faut sassurer
que les droits humains des femmes en tout temps et en tout lieu soient respectés:
le droit à un travail salarié, le droit dimmigrer, le droit
à des bonnes conditions de travail, le droit à la dignité.
Malgré les avancées féministes des dernières décennies,
les femmes continuent - et continueront longtemps encore - de gagner leur vie
dans des sphères de travail liées aux rôles féminins
traditionnels. Nous avons le devoir comme féministes de veiller à
ce que ces formes de travail soient reconnues et de voir à ce que les
droits de ces femmes comme citoyennes et travailleuses soient protégés.
Cest pourquoi il faut être vigilantes, sinterroger et veiller
à ce que nos stratégies ne nuisent pas aux femmes pour qui ces
formes de travail (domestique, sexuel ou autres) sont valables, viables, voir
nécessaires. Il faut faire attention à ce que nos stratégies
daction ne soient pas teintées de classisme (préjugés
de classe) et de racisme
Revendiquer la reconnaissance du travail des
femmes, même si ce travail est lié aux rôles traditionnels
et aux institutions patriarcales, cest affirmer que ce travail-là
nest pas banal et cest favoriser sa transformation dans lintérêt
des femmes.
Dautres uvres consultées
Kempadoo K. et Doezema J. Eds. Global Sex Workers. Rights, Resistances and Redefinition.
Routledge, New York et Londres,1998.
Neave, M. 1988. «Overview of National Legal Responses to Prostitution
- Prostitution Laws - Strategies for the future.» In Sex Industry and
the AIDS Debate : Report and Conference Papers from the First National Sex Industry
Conference, Melbourne, Australia, 25-27 October 1988 (St Kilda, Australia :
Prostitutes Collective of Victoria) : pp. 45 56.
Pheterson, G. 1996. The Prostitution Prism. Amsterdam University Press.
Tabet, Paula 1987. «Du don au tarif. Les relations sexuelles impliquant
une compensation», dans Les temps modernes, 490, pp.1-53.
Thiboutot, Claire 1994. «1975-1995. Le mouvement des prostituées
: bientôt vingt ans», dans Perspectives, vol. 7 no1.
Global Alliance Against Traffic in Women (GAATW), 1997. Plan of Action. North
American Regional Consultative Forum on Trafficking in Women. 30 avril - 3 mai
1997, Victoria, Canada.
Imaginer et travailler pour un monde où les femmes auront
le droit de ne pas être prostituées
par Nicole Kennedy, ex-travailleuse du CEAF
Il y a des féministes - partout dans le monde, dans les groupes travaillant
auprès des femmes prostituées et dans dautres groupes - qui
questionnent la prostitution comme institution. Tout en reconnaissant la nécessité
de lutter contre la discrimination envers les femmes dans lindustrie du
sexe, ces féministes croient quil est essentiel de situer la prostitution
dans le continuum de loppression des femmes par les hommes.
Selon cette perspective, il ne suffit pas de reconnaître que certaines femmes
se prostituent « volontairement », ne se considèrent pas comme
victimes et réussissent à contrôler la plupart du temps
léchange quelles ont avec leur client. Au même titre
où il y a eu un questionnement de linstitution du mariage, nous devons
questionner linstitution de la prostitution. Certaines diraient que ces
institutions sont les deux faces dune même réalité :
le contrôle des femmes.
Le simple fait que la très grande majorité des personnes prostituées
sont des femmes et que les «consommateurs» sont presque exclusivement
des hommes doit nous questionner et nous mener à lanalyser à
la lumière du statut inférieur des femmes en tant que groupe social.
Très souvent, quand on réfléchit sur les causes de la prostitution,
on sarrête sur la femme prostituée ou travailleuse du sexe;
on se demande comment elle a abouti là. Elle est vue comme « anormale
» ou déviante. Même dans le débat en cours dans le mouvement
féministe, nous discutons la question du choix dune femme de faire
le travail du sexe. Est-ce que cest un métier ou est-ce quil
sagit de lexploitation sexuelle? Les hommes restent plutôt invisibles.
Leurs «besoins» sont vus comme normaux, voire inévitables.
Pourquoi y a-t-il ce consensus social sur limpératif du besoin masculin
pour les produits du marché du sexe?
De plus, il est très important de situer le débat dans le contexte
dinégalité dans lequel les femmes vivent - surtout la violence
physique et sexuelle et la pauvreté - ainsi que limpact du patriarcat
sur les hommes et les femmes, notamment leur sexualité, si nous voulons
véritablement améliorer le sort des femmes de la planète.
Nous allons donc examiner le lien entre ce contexte doppression et le phénomène
de lexploitation sexuelle. Nous terminerons en proposant quelques pistes
de solutions découlant de cette analyse.
La violence envers les femmes
Un rapport du Fonds de lONU pour la population (FNUAP) sorti en septembre
2000 estime que de mettre fin à la discrimination envers les femmes dans
le monde constitue une priorité urgente. Intitulé « Vivre
ensemble, dans des mondes séparés », le rapport confirme ce
que les groupes de femmes connaissaient déjà: la situation des femmes
est loin dêtre réglée, malgré les gains importants
du XXe siècle. Les statistiques sur lincidence
de la violence faite aux femmes - qui est en augmentation, selon le FNUAP - sont
éloquentes: au moins une femme sur trois a été battue, contrainte
à avoir des rapports sexuels ou a été victime de sévices
quelconques au cours de sa vie, le plus souvent de la part de personnes de sa
connaissance; quatre millions de femmes et filles sont achetées
et vendues dans le monde entier chaque année; deux millions de fillettes
âgées de 5 à 15 ans sont, quant à elles, livrées
à la prostitution1.
Aussi récemment quen 1983, au Canada, un mari avait le droit davoir
des relations sexuelles avec son épouse sans son consentement parce que
lidée que les femmes étaient la propriété des
hommes perdurait encore. La loi voulait par ailleurs punir celui qui sappropriait
ou «salissait» la propriété dun autre homme. À
ce moment, suite aux pressions des groupes de femmes, la loi a été
modifiée pour redéfinir le viol comme étant une atteinte
à la personne au lieu dune atteinte à la moralité ou
à la propriété et pour introduire le concept de violence
dans lacte de viol en lappelant désormais « agression
sexuelle ». Ainsi, les femmes ont obtenu, du moins en théorie, le
droit de dire non aux relations sexuelles avec leurs maris.
Malgré un certain progrès, lincidence de la violence faite
aux femmes au Québec et au Canada aujourdhui témoigne quon
est loin davoir gagné la guerre menée sur le corps des femmes
:
- la moitié des femmes canadiennes ont vécu au moins un incident
de violence physique ou sexuelle;
- plus dun quart (29%) des femmes canadiennes ont été
agressées par un conjoint ;
- en 1998, 67 femmes ont été assassinées au pays par
un conjoint ou un ex-conjoint, un amoureux ou un ex-amoureux, ce qui veut
dire une à deux femmes assassinées par semaine;
- 79% des enfants victimes dagressions sexuelles sont des filles ;
- seulement 10% des agressions sexuelles commises contre des fem-mes sont
rapportées à la police (il sagit du crime violent le moins
signalé); si on extrapole à partir des données disponibles,
on arrive au chiffre annuel de 509860 agressions sexuelles signalées
ou non au Canada, soit 1397 agressions par jour. Ce qui veut dire que, chaque
minute de chaque journée, une femme ou un enfant au Canada subit une
agression sexuelle2.
- Les femmes qui font de la prostitution de rue sont victimes de violence
sexuelle 10 fois plus souvent que lensemble des femmes3.
Le contrôle du corps des femmes par les hommes aux fins de la reproduction
et de la sexualité est lune des pierres angulaires du système
patriarcal. Loppression des femmes par le biais de la sexualité (la
violence sexuelle, limposition de rôles sexuels, la contrainte de
lactivité sexuelle des femmes au modèle de mariage hétérosexuel,
la commercialisation du corps des femmes, etc.) est lune des formes doppression
marquantes pour les femmes.
Il y a plusieurs études qui démontrent un lien entre labus
sexuel, linceste et la violence familiale et larrivée des jeunes
femmes dans la prostitution. Ce nest pas le cas pour toutes les femmes dans
cette industrie, mais limpact de la violence sexiste, surtout quand elle
est commise par un proche à de multiples reprises, est profond et peut
rendre une femme plus vulnérable à dautres formes dexploitation.
Par ailleurs, il ne faut pas sous-estimer limpact sur lensemble des
femmes des stéréotypes sexistes et de la violence sexuelle, même
pour celles qui ont la bonne fortune de ne pas en avoir été victimes.
Les femmes sont beaucoup trop valorisées, et pire, se valorisent encore
trop en fonction de leur apparence et de leur sexualité. Le fléau
de lanorexie chez les adolescentes, en est un exemple; la pandémie
du manque destime de soi chez lensemble des femmes en est un autre.
Lindustrie du sexe est ancrée principalement dans les rapports de
domination basés sur le sexe, mais aussi sur la classe sociale, lorigine
ethnique, la couleur de la peau, lâge et le pays dorigine. Parmi
les femmes, ce sont principalement les femmes plus pauvres, autochtones ou immigrantes
qui sont prostituées. Lâge moyen dentrée dans
la prostitution à léchelle planétaire est de 14 ans4,
ce qui veut dire quil y a des filles aussi jeunes que huit ans qui sont
sur le «marché» du sexe.
Selon certains groupes de défense de travailleuses du sexe, laffirmation
que lindustrie du sexe dépend dun réservoir de personnes
vulnérables et exploitées pour combler les besoins de ce marché,
contribue à marginaliser davantage les travailleuses du sexe. Selon ces
groupes, en qualifiant ces dernières en tant que «victimes»,
nous nions leur capacité de décider de leur plein gré de
faire le travail du sexe. Or, il ne sagit pas là dun manque
de respect pour les femmes dans la prostitution, mais dun constat de la
réalité de cette industrie. Il ne faut pas non plus perdre de vue
les clients. Il est presque certain quils ne font pas la distinction entre
la femme «forcée» et celle qui a décidé de faire
carrière dans lindustrie du sexe. Ils vont même parfois exiger
des filles «vierges», pour ne pas courir le risque dêtre
exposé au VIH. Même si certaines travailleuses du sexe peuvent dicter
aux clients quels services seront offerts, il y aura toujours des consommateurs
qui, ne trouvant pas ce quils veulent avec une femme, vont simplement aller
en voir une autre, probablement plus démunie (pauvre, sans papiers, toxicomane,
vieille, etc.). La distinction entre une prostitution forcée et une prostitution
volontaire nous semble donc fausse et permet de cacher la réalité
de lexploitation et de la destruction de la vie de millions de femmes et
de fillettes.
Le système patriarcal est également responsable de la fausse division
entre les «bonnes femmes» (celles qui appartiennent à un homme
- père ou mari), et les «putes» (celles qui nappartiennent
à aucun homme et à tous les hommes), une division qui perdure. Cest
ce lien de propriété qui déterminait la valeur sociale des
femmes. Dès quune femme rejetait ce contrôle, elle était
punie. Le « stigma de la putain » prend ses origines dans la suprématie
masculine. Il nesagit pas seulement dune mentalité «
moralisatrice ». Le problème de la stigmatisation des travailleuses
du sexe ne sera pas réglé par un simple changement dattitude,
sans sattaquer aux rapports dinégalité sur lesquels
cette industrie repose.
La pauvreté des femmes
Linégalité hommes-femmes se manifeste aussi par la pauvreté.
Les femmes sont les plus pauvres des pauvres dans le monde. Selon une étude
de Statistique Canada, une femme sur cinq est pauvre. Les statistiques illustrent
bien les écarts qui perdurent encore, même dans notre société
où les hommes ne sont plus les seuls pourvoyeurs de la famille: les femmes
gagnent 75% du revenu annuel des hommes et constituent 60% des personnes gagnant
un salaire minimum. Les rôles traditionnels encore trop souvent dévolus
aux femmes - seules à soccuper des enfants, des personnes âgées
et malades - se traduisent par les emplois à temps partiel, laccès
réduit au marché du travail, la non-reconnaissance financière
et sociale de leur travail.
Historiquement, les femmes ont eu recours à la prostitution quand elles
navaient pas accès aux seuls autres choix (le mariage, la religion)
pour gagner leur vie. Même si dans les pays industrialisés beaucoup
de choix de carrière sont désormais ouverts aux femmes, trop dentre
elles se retrouvent encore dans la pauvreté avec peu ou même aucune
porte de sortie. À Montréal, dans le quartier Centre-Sud, les intervenantes
de rue ont remarqué une augmentation de la prostitution de «fin du
mois» depuis les coupures dans laide sociale et la détérioration
des conditions sociales.
La mondialisation de lindustrie du sexe
La pauvreté et la violence faite aux femmes constituent la toile de fond
de lessor de lindustrie mondiale du sexe. Un effet brutal de la mondialisation
néolibérale (comportant des coupures dans les programmes sociaux
dans le Nord et la perte des emplois et des économies traditionnelles dans
les pays du Sud), le trafic sexuel des femmes, est considéré par
certaines personnes comme lun des plus importants obstacles à légalité
des femmes et au respect de leurs droits fondamentaux.
Lindustrie mondiale du sexe comprend le trafic des femmes des pays du Sud
vers les pays industrialisés, surtout en Europe de lOuest et aux
États-Unis; entre les pays du Sud; les fillettes du Népal et du
Bangladesh qui sont trafiquées en Inde; le tourisme sexuel au Brésil,
au Costa Rica, etc.; le trafic des femmes des Philippines et de la Thaïlande
vers lindustrie du sexe du Japon, de lAustralie et du Canada; lafflux
massif de femmes dEurope de lEst dans lindustrie du sexe dEurope
de lOuest, des États-Unis et maintenant dAsie.
Cette industrie génère plus de 52 milliards de dollars par année.
Au moins neuf millions de femmes se trouvent dans lindustrie; certaines
estiment que le nombre total est plus près de 40 millions de femmes. Beaucoup
de femmes se trouvent dans lindustrie du sexe par tromperie, violence et
menaces de violence. Les trafiquants ciblent des communautés pauvres et
vulnérables, où souvent les familles se font convaincre de vendre
leurs filles. Quant au trafic à lintérieur du Canada (dune
ville ou région à lautre) ou entre le Canada et les États-Unis,
ce nest pas un accident si des femmes autochtones, des femmes noires et
des adolescentes sont nombreuses parmi celles qui sont exploitées par les
trafiquants «domestiques». À Winnipeg, où les femmes
autochtones représentent 7% de la population, 70% des prostituées
sont autochtones.5
Les femmes trafiquées pour la prostitution ou le travail du sexe subissent
des conditions intolérables, parfois semblables à lesclavage:
interdiction de sortir, confiscation de leurs papiers didentité et
passeport, servitude, violence physique et sexuelle à répétition,
MTS, dépression et suicide. Souvent elles sont emprisonnées par
les autorités étatiques pour raison dimmigration illégale,
etc.
Le modèle de la sexualité proposé par lindustrie
du sexe
La socialisation sexiste des hommes à léchelle planétaire
leur a permis, et permet encore à bon nombre dentre eux, de voir
les femmes comme des êtres inférieurs. Les rôles traditionnellement
accordés aux femmes, tous centrés sur les besoins des hommes, sont
imposés par les institutions comme le mariage et la religion, mais aussi
par des hommes individuellement qui emploient la violence, notamment la violence
sexuelle, pour illustrer leur domination. Même si dans certains pays les
femmes ont gagné plus de liberté et ont réussi à créer
des sociétés plus égalitaires sur le plan des rôles
sexuels, limpact de la réduction des femmes au statut dobjets
sexuels et aux fonctions de service aux hommes (mère, ménagère,
soignante, etc.) perdure et justifie toujours la violence sexuelle.
Le désir sexuel est influencé par la société, par
léducation, la culture, la religion; il nest pas inné.
Les hommes apprennent lidée quils peuvent recourir aux services
dune femme prostituée ou aux autres produits du marché du
sexe et de plus, que ce comportement correspond aux normes de la masculinité.
La prostitution est fondée sur lidée que les hommes ont un
besoin irrépressible qui doit être comblé par laccès
sexuel à une femme dont le plaisir nest pas pris en considération.
Il y a une similarité avec la situation des femmes mariées ici,
il ny a pas si longtemps. Le contrat de mariage accordait des droits sexuels
aux maris auxquels les femmes devaient se soumettre. Dans le contexte de la prostitution,
cest léchange dargent qui donne ces droits aux hommes.
Dans les deux cas, il sagit de la consécration du pouvoir sexuel
des hommes et dune véritable colonisation du corps des femmes. Loin
dêtre un modèle de libération sexuelle, la sexualité
de la prostitution nest quun reflet de la domination masculine.
Lomniprésence du modèle patriarcal de la sexualité
et les tabous entourant la sexualité ont créé un vide que
lindustrie du sexe a comblé. Nos besoins dinformation, de représentation
culturelle et dexpression en matière de sexualité ne doivent
pas être assujettis aux impératifs du marché. Comme féministes,
nous avons toujours revendiqué le contrôle de nos corps, incluant
la liberté dexpression sur le plan sexuel. Nous avons défendu
le droit des femmes au plaisir. Il est vrai que nous avons besoin dexplorer
davantage la question de la sexualité. Mais avant de promouvoir la commercialisation
de la sexualité comme outil de liberté sexuelle, il serait peut-être
plus stratégique de trouver des solutions aux inégalités
et à laliénation générée chez les femmes
et les hommes par les rapports de domination.
Éliminer lexploitation sexuelle pour lensemble des femmes
et la stigmatisation des travailleuses du sexe: des pistes de solution
Afin déliminer la stigmatisation des femmes prostituées et
travailleuses du sexe, des groupes ici et ailleurs dans le monde travaillent pour
décriminaliser ou réglementer lindustrie du sexe. Or, ce mouvement
nest pas uniquement composé des groupes de défense de travailleuses
du sexe. Un nombre croissant de gouvernements qualifie le «secteur du sexe»
de source de création demplois pour les femmes et de source importante
de devises étrangères pour payer la dette. Même lOrganisation
Internationale du Travail (OIT) tente dappeler à la reconnaissance
économique de lindustrie du sexe, soulignant lexpansion de
cette industrie et sa contribution non reconnue au Produit National Brut (PNB)
de quatre pays du Sud-Est asiatique.6
La banalisation de la prostitution en la qualifiant de secteur économique
contribue à laugmentation de lexploitation de millions de femmes
très pauvres et vulnérables, comme cest le cas dans les pays
où la prostitution est légalisée. Évidemment, quand
lindustrie est légalisée, il est encore plus difficile pour
les femmes de résister aux nombreuses pressions pour y participer. Dans
ces pays, les hommes sont encouragés à «consommer»,
nécessitant toujours plus de femmes pour combler la demande. Il est révélateur
de constater que dans les Pays-Bas, où la prostitution est légalisée,
ce ne sont pas les Hollandaises qui répondent à la demande; 80%
des femmes dans les rues et dans les vitrines sont des immigrantes des pays du
Sud, dont 70% nont pas de papiers, donc ont été trafiquées.
La criminalisation des femmes contribue à perpétuer les stéréotypes
et la violence envers les femmes prostituées et rend encore plus difficile,
pour celles qui le désirent, darrêter. Pour cette raison, il
est urgent de décriminaliser les femmes dans la prostitution ou le travail
du sexe. Par contre, les trafiquants et proxénètes qui tirent des
profits énormes sur le dos des femmes dans lindustrie devraient être
criminalisés. Le besoin urgent de protection des femmes comme groupe social
contre lexploitation sexuelle doit être reconnu dans la législation
de tous les pays si nous voulons mettre fin au trafic sexuel. Puisque le système
judiciaire a intégré les valeurs sexistes, capitalistes et racistes
de la société en général, nous devons nous assurer
que le crime est défini en termes des dommages causés par cette
exploitation et non en termes moraux. Le Code criminel tel quil existe présentement
est utilisé presque exclusivement contre celles qui offrent des services
et non contre ceux qui en profitent.
Nous avons le droit de rêver et de travailler à créer un monde
où il ny aurait plus dexploitation sexuelle, et où la
sexualité ne serait plus assujettie aux tabous, aux contrôles, et
à la violence, mais partagée librement entre personnes égales,
mais nous ny arriverons pas demain. Les actions que nous devons privilégier
sont à mener dans le court et long terme. Elles devraient répondre
aux besoins immédiats des femmes prostituées ou travailleuses du
sexe, par exemple, éliminer la répression exercée par les
forces policières, améliorer laccès à la justice
et aux services sociaux et de santé, et faire de léducation
autour des préjugés concernant les femmes dans lindustrie
du sexe. Elles devraient en même temps nous permettre davancer - et
non de nuire à - lobjectif à long terme: la fin de la violence
et de lexploitation sexuelle des femmes et la fin de leur pauvreté.
Dautres uvres consultées
Chroniques féministes (revue belge), dossier spécial «
Prostitution et féminisme », janvier / février 1994: PLATEAU,
Nadine, « À propos des droits des prostituées ».
JEFFREYS, Sheila, The Idea of Prostitution, North Melbourne, Australie,
Spinifex Press, 1997.
LOUIS, Marie-Victoire, « Cette violence dont nous ne voulons plus »,
entrevue avec M.-V. Louis, suite à la publication dune brochure du
même titre publiée en 1991 par lAssociation contre les violences
faites aux femmes en France.
LOUIS, Marie-Victoire « Le corps humain mis sur le marché »,
Manière de Voir 44, Paris, Le Monde Diplomatique, mars-avril 1999.
MONTREYNAUD, Florence, « La prostitution, un droit de lhomme? »,
Manière de Voir 44, Paris, Le Monde Diplomatique, mars-avril 1999.
Paris, 1999.
Notes
- Fonds de lONU pour la population, LÉtat de la population
mondiale 2000 : Vivre ensemble dans des mondes séparés,
Ch. 3, « Mettre fin à la violence à légard
des femmes et des filles ».
Site Web : http://www..unfpa.org/swp/2000/français/
- Statistiques tirées de la fiche de lICREF sur la violence faite
aux femmes et aux jeunes filles, produites dans le cadre de la Marche mondiale
des femmes en lan 2000.
- Dépliant du groupe de défense des femmes prostituées,
Alliance for the Safety of Prostitutes, Vancouver, 1984.
- Janice Raymond, « Légitimer la prostitution en tant que travail
: Lorganisation internationale du Travail appelle à la reconnaissance
de lindustrie du sexe », 1999.
Site Web : www.uri.edu/artsci/wms/hughes/catw/ilofr.htm
- « Un métier sans pitié », La Presse 12
septembre 2000.
- Janice Raymond, « Légitimer la prostitution en tant que travail
: Lorganisation Internationale du Travail appelle à la reconnaissance
de lindustrie du sexe ».
Recommandations
Rappelons dabord que toutes les perspectives féministes, indépendamment
de leurs désaccords par ailleurs, sentendent sur certains enjeux:
le désir des femmes de reprendre en main et de contrôler leur sexualité,
la lutte à poursuivre contre lexploitation sexuelle et toutes les
formes de violence faites aux femmes, lidentification de la domination
patriarcale dans toutes les sphères de la vie et ses conséquences
pour les femmes et, finalement, le refus de punir et de châtier les femmes
prostituées ou travailleuses du sexe.
Ajoutons que nous sommes nombreuses à souhaiter ardemment de vrais débats
sur les rapports affectifs et sexuels entre les hommes et les femmes et une
redéfinition de ces rapports pour quils soient fondés sur
légalité et le respect mutuel tout en acceptant la pluralité
des façons de les vivre. Ces débats, par ailleurs, ratissent bien
plus large que la question du travail du sexe et concernent toute la société.
Cest en tablant sur ces convergences que le comité de réflexion
sur le travail du sexe et la prostitution a pu en arriver aux recommandations
qui suivent. Après un an de discussion, nous avons pu établir
des consensus solides sur toutes les recommandations sauf celle qui porte sur
la décriminalisation des clients qui fait lobjet dun accord
majoritaire. Nous avons tout de même décidé de vous les
soumettre toutes car nous croyons que les débats sont nécessaires
et que cest ensemble que nous élaborerons des positions plus précises
dans certains cas.
Nous souhaitons que ces recommandations soient largement débattues dans
le mouvement des femmes. Des femmes, aujourdhui même, sont stigmatisées
et criminalisées à cause de leurs pratiques. Lors de la Marche
mondiale des femmes, nous avons clairement pris position contre cette discrimination.
Il nous incombe donc de poursuivre notre analyse tout en réclamant des
pouvoirs publics des mesures concrètes pour mettre fin aux violences
et aux discriminations vécues par ces femmes.
Dans cet esprit, nous vous présentons les recommandations suivantes,
sachant quelles constituent autant de mesures ou dactions à
promouvoir dans limmédiat.
1) Nous réclamons de lensemble des pouvoirs publics et
pour toutes les travailleuses du sexe laccès aux services sociaux,
de santé, judiciaires et policiers sans discrimination ni préjugés
ainsi que des formations spécifiques pour les intervenants-es des réseaux
publics. Nous croyons aussi que toutes les ressources mises sur pied par des
féministes (centres de femmes, CALACS, maisons dhébergement),
devraient être en mesure doffrir aux femmes qui vivent de la prostitution
les services et le soutien dont elles peuvent avoir besoin.
2) Nous réclamons de lÉtat québécois
que dans la campagne de sensibilisation sur la violence faite aux femmes,
promise lors de la Marche mondiale des femmes, une place soit faite à
la problématique du travail du sexe et de la prostitution.
Il est plus que temps de lutter contre les préjugés, la discrimination
et la violence dont les femmes sont victimes. Nous demandons aussi que soit
mis sur pied le comité intersectoriel promis par le gouvernement.
3) Nous réclamons unanimement du gouvernement fédéral
la décriminalisation des pratiques exercées par les prostituées
et les travailleuses du sexe.
En effet, quelle que soit notre opinion ou position politique sur lensemble
de la question, nous sommes convaincues que la criminalisation des prostituées,
danseuses, téléphonistes érotiques, escortes, etc., a comme
conséquence une marginalisation accrue et diverses formes de discrimination
à lendroit des femmes dans lindustrie.
4) Nous réclamons majoritairement du gouvernement fédéral
la décriminalisation des activités pratiquées par les clients
des travailleuses du sexe.
De lavis de plusieurs, ces activités ne constituent pas des actes
criminels méritant des sanctions judiciaires, et nous notons que la criminalisation
des clients na pas fait la preuve de son efficacité au regard de
lobjectif de lélimination de la prostitution. Les cas dabus,
dextorsion ou de violence doivent être traités comme tous
les cas de violence faite aux femmes et sanctionnés par la loi. Nous
maintenons pas ailleurs notre opposition à lutilisation de mineures-rs
pour des activités sexuelles contre rétribution. Ces pratiques
relèvent de labus sexuel et doivent être réprimés
par la loi. Par contre, celles qui souhaitent le maintien de la criminalisation
des clients invoquent la nécessité de trouver des moyens de dissuasion
pour en arriver à lélimination de la demande en matière
de services sexuels contre rémunération.
5) Nous proposons quune consultation publique soit organisée
par le gouvernement fédéral sur tous les articles du Code criminel
qui touchent le travail du sexe et la prostitution.
Nous pensons quun travail sérieux simpose pour réviser
le code criminel canadien et nous assurer quil respecte les droits et
liberté des femmes et leur droit à la sécurité.
Les travailleuses du sexe et les groupes de femmes doivent être associés
à cette consultation.
6) Nous réclamons des gouvernements fédéral et
provincial la révision de lensemble des lois ayant trait à
la violence faite aux femmes et de leur mise en application afin dassurer
aux femmes le respect de leur droit à légalité, la
sécurité, la dignité et la protection de leur vie privée.
Cette revendication portée par la Marche mondiale des femmes au Québec
sapplique aussi aux travailleuses du sexe qui sont souvent discriminées
lorsquelles portent plainte dans des cas de violence et dagressions
sexuelles.
7) Nous réclamons le droit pour toutes les prostituées
et travailleuses du sexe de sorganiser afin de défendre leurs droits
et dobtenir un financement des gouvernements fédéral et
provincial pour les organismes qui les représentent.
8) Puisque nous défendons la liberté pour toutes
les femmes de voyager, de se déplacer et démigrer, nous
revendiquons du gouvernement canadien et de tous les gouvernements de la planète
:
Que les femmes trafiquées puissent recevoir un statut de réfugiées
ou la possibilité de retourner dans leur pays si elles le souhaitent.
Que le passé sexuel dune femme, le fait de pratiquer ou
davoir pratiqué la prostitution ou le travail du sexe, son statut
dimmigrante illégale ou dapatride ne puissent être
utilisés contre elle par les autorités étatiques, policières
et juridiques.
ANNEXE I
CODE CRIMINEL DU CANADA
Articles concernant la prostitution
Tenue dune maison de débauche
210. (1) Est coupable dun acte criminel et passible dun emprisonnement
maximal de deux ans quiconque tient une maison de débauche.
Propriétaire, habitant, etc.
(2) Est coupable dune infraction punissable sur déclaration de
culpabilité par procédure sommaire quiconque, selon le cas :
a) habite une maison de débauche;
b) est trouvé, sans excuse légitime, dans une maison de débauche;
c) en qualité de propriétaire, locateur, occupant, locataire,
agent ou ayant autrement la charge ou le contrôle dun local, permet
sciemment que ce local ou une partie du local soit loué ou employé
aux fins de maison de débauche.
Le propriétaire doit être avisé de la déclaration
de culpabilité
(3) Lorsquune personne est déclarée coupable dune
infraction visée au paragraphe (1), le tribunal fait signifier un avis
de la déclaration de culpabilité au propriétaire ou locateur
du lieu à légard duquel la personne est déclarée
coupable, ou à son agent, et lavis doit contenir une déclaration
portant quil est signifié selon le présent article.
Devoir du propriétaire sur réception de lavis
(4) Lorsquune personne à laquelle un avis est signifié en
vertu du paragraphe (3) nexerce pas immédiatement tout droit quelle
peut avoir de résilier la location ou de mettre fin au droit doccupation
que possède la personne ainsi déclarée coupable, et que,
par la suite, un individu est déclaré coupable dune infraction
visée au paragraphe (1) à légard du même local,
la personne à qui lavis a été signifié est
censée avoir commis une infraction visée au paragraphe (1), à
moins quelle ne prouve quelle a pris toutes les mesures raisonnables
pour empêcher le renouvellement de linfraction.
S.R., ch. C-34, art. 193.
Transport de personnes à des maisons de débauche
211. Est coupable dune infraction punissable sur déclaration de
culpabilité par procédure sommaire quiconque, sciemment, mène
ou transporte ou offre de mener ou de transporter une autre personne à
une maison de débauche, ou dirige ou offre de diriger une autre personne
vers une maison de débauche.
S.R., ch. C-34, art. 194.
Entremetteurs
Proxénétisme
212. (1) Est coupable dun acte criminel et passible dun emprisonnement
maximal de dix ans quiconque, selon le cas:
a) induit, tente dinduire ou sollicite une personne à avoir des
rapports sexuels illicites avec une autre personne, soit au Canada, soit à
létranger;
b) attire ou entraîne une personne qui nest pas prostituée
vers une maison de débauche aux fins de rapports sexuels illicites ou
de prostitution;
c) sciemment cache une personne dans une maison de débauche;
d) induit ou tente dinduire une personne à se prostituer, soit
au Canada, soit à létranger;
e) induit ou tente dinduire une personne à abandonner son lieu
ordinaire de résidence au Canada, lorsque ce lieu nest pas une
maison de débauche, avec lintention de lui faire habiter une maison
de débauche ou pour quelle fréquente une maison de débauche,
au Canada ou à létranger;
f) à larrivée dune personne au Canada, la dirige ou
la fait diriger vers une maison de débauche, ly amène ou
ly fait conduire;
g) induit une personne à venir au Canada ou à quitter le Canada
pour se livrer à la prostitution;
h) aux fins de lucre, exerce un contrôle, une direction ou une influence
sur les mouvements dune personne de façon à démontrer
quil laide, lencourage ou la force à sadonner
ou à se livrer à la prostitution avec une personne en particulier
ou dune manière générale;
i) applique ou administre, ou fait prendre, à une personne, toute drogue,
liqueur enivrante, matière ou chose, avec lintention de la stupéfier
ou de la subjuguer de manière à permettre à quelquun
davoir avec elle des rapports sexuels illicites;
j) vit entièrement ou en partie des produits de la prostitution dune
autre personne.
Idem
(2) Par dérogation à lalinéa (1)j), est coupable
dun acte criminel et passible dun emprisonnement maximal de quatorze
ans quiconque vit entièrement ou en partie des produits de la prostitution
dune autre personne âgée de moins de dix-huit ans.
Infraction grave - vivre des produits de la prostitution dune personne
âgée de moins de dix-huit ans.
(2.1) Par dérogation à lalinéa (1)j) et au paragraphe
(2), est coupable dun acte criminel et passible dun emprisonnement
minimal de cinq ans et maximal de quatorze ans quiconque vit entièrement
ou en partie des produits de la prostitution dune autre personne âgée
de moins de dix-huit ans si, à la fois :
a) aux fins de profit, il laide, lencourage ou la force à
sadonner ou à se livrer à la prostitution avec une personne
en particulier ou dune manière générale, ou lui conseille
de le faire;
b) il use de violence envers elle, lintimide ou la contraint, ou tente
ou menace de le faire.
Présomption
(3) Pour lapplication de lalinéa (1)j) et des paragraphes
(2) et (2.1), la preuve quune personne vit ou se trouve habituellement
en compagnie dun prostitué ou vit dans une maison de débauche
constitue, sauf preuve contraire, la preuve quelle vit des produits de
la prostitution.
Infraction concernant la prostitution dune personne âgée
de moins de dix-huit ans
(4) Est coupable dun acte criminel et passible dun emprisonnement
maximal de cinq ans quiconque, en quelque endroit que ce soit, obtient ou tente
dobtenir, moyennant rétribution, les services sexuels dune
personne qui est âgée de moins de dix-huit ans ou quil croit
telle.
Présomption
(5) Pour lapplication du paragraphe (4), la preuve que la personne de
qui laccusé a obtenu des services sexuels ou a tenté den
obtenir lui a été présentée comme ayant moins de
dix-huit ans constitue, sauf preuve contraire, la preuve que laccusé
croyait, au moment de linfraction présumée, quelle
avait moins de dix-huit ans.
L.R. (1985), ch. C-46, art. 212; L.R. (1985), ch. 19 (3e suppl.), art. 9; 1997,
ch. 16, art. 2.
Infraction se rattachant à la prostitution
213. (1) Est coupable dune infraction punissable sur déclaration
de culpabilité par procédure sommaire quiconque, dans un endroit
soit public soit situé à la vue du public et dans le but de se
livrer à la prostitution ou de retenir les services sexuels dune
personne qui sy livre :
a) soit arrêté ou tente darrêter un véhicule
à moteur;
b) soit gêne la circulation des piétons ou des véhicules,
ou lentrée ou la sortie dun lieu contigu à cet endroit;
c) soit arrête ou tente darrêter une personne ou, de quelque
manière que ce soit, communique ou tente de communiquer avec elle.
Définition de « endroit public »
(2) Au présent article, « endroit public » sentend notamment
de tout lieu auquel le public a accès de droit ou sur invitation, expresse
ou implicite; y est assimilé tout véhicule à moteur situé
dans un endroit soit public soit situé à la vue du public.
L.R. (1985), ch. C-46, art. 213; L.R. (1985), ch. 51 (1er suppl.), art. 1.
ANNEXE II
Quelques définitions
La décriminalisation signifie le retrait des articles 210-213 du
Code criminel (ceux concernant le travail du sexe). Des groupes féministes
comme le Comité canadien daction sur le statut des femmes et la Société
Elizabeth Fry ont pris position en faveur de la décriminalisation des travailleuses
du sexe. Il sagit, pour ces groupes, dun moyen de protéger
les travailleuses du sexe contre lemprisonnement, la pauvreté accrue
et la marginalisation. De plus, si les travailleuses du sexe ne couraient aucun
risque daccusation criminelle, elles seraient davantage portées à
dénoncer la violence exercée contre elles par les clients, la police
ou les conjoints.
La légalisation du travail du sexe signifie la réglementation
ou la régulation. Ce système se caractérise souvent par lenregistrement
des travailleuses du sexe auprès du service de police, lobligation
dexercer leur travail avec un permis et un contrôle médical
obligatoire. La légalisation est contrôlée par lÉtat.
En terme concret, elle prend la forme de «maisons de prostitution»
ou de quartiers réservés du type «red light». Cette
approche considère le travail du sexe comme un mal nécessaire, une
nécessité sociale.
La plupart des groupes de défense des travailleuses du sexe sont farouchement
opposés à la légalisation. Ils craignent notamment la création
dun double standard: dun côté les travailleuses du
sexe légales munies dun permis émis par le gouvernement
et, de lautre, celles qui ne se conforment pas aux règles et qui
pratiquent leur travail dans la marginalité, aggravant ainsi leur vulnérabilité.
Toujours selon ces groupes, la légalisation pourrait aussi amener lÉtat
à devenir une sorte de proxénète (pimp) qui contrôle
les maisons de prostitution ou encore, tire profit des bénéfices
du travail sexuel.
La déjudiciarisation signifie pour lÉtat de lancer
le mot dordre aux corps policiers et aux municipalités de ne pas
harceler les travailleuses du sexe au nom du Code de la route ou dautres
lois et règlements.