Crimes et femmes Automne 2001

Rapport du Comité de réflexion de la FFQ sur la prostitution et le travail du sexe

Bien que la question de la prostitution et du travail du sexe soit posée depuis près d’un siècle, celle-ci est devenue une priorité pour le mouvement international des femmes depuis Beijing puisqu’elle est considérée comme un enjeu majeur pourle respect des droits des femmes. Dans le contexte de la libéralisation des marchés, l’industrie du sexe s’est considérablement développé. Aucun pays n’aurait échappé au développement phénoménal de cette industrie qui rapporterait près de 52 milliards par année. Et selon des études de l’ONU, ce phénomène toucherait largement les femmes issues des pays les plus pauvres.
 
Au Québec, le mouvement des femmes se sent particulièrement interpellé par cette question du fait qu’elle a constitué l’une des revendications de la Marche mondiale des femmes à la fois au niveau international et national. Même si les deux revendications ont reçu une large adhésion, elles n’ont pas fait l’unanimité. En effet, le sujet suscite la controverse. Deux visions s’affrontent et divisent les féministes, ici comme ailleurs. Voyons de quelle façon ces tendances s’expriment dans le mouvement des femmes et comment elles sont à l’origine de notre comité de travail.

 
DEUX VISIONS
 
Volet international

 
À l’automne 1998, lors de la première rencontre internationale de préparation de la Marche mondiale des femmes, 140 déléguées venant de 65 pays, chargées d’élaborer une plate-forme commune, font consensus, au chapitre de la violence, sur la revendication suivante :

Par la suite, la revendication suscite des réactions. En présence : deux grandes coalitions internationales qui vont représenter des visions opposées. D’un côté, la Global Alliance Against Trafficking in Women (GAATW) qui fait parvenir une lettre à plusieurs groupes les enjoignant de retirer leur appui à la revendication V6. Son argument est à l’effet que la Convention de 1949 n’est pas un bon instrument pour s’attaquer au trafic des femmes et des enfants. Elle considère entre autres que cette Convention ne comporte aucune définition du trafic, ne fait pas de distinction entre trafic et prostitution et ne tient pas compte de la position des femmes en tant que travailleuses et migrantes. De l’autre, la Coalition Against Trafficking in Women (CATW) qui appuie la Convention de 1949 avec l’ajout d’un protocole et de mécanismes de surveillance. Elle croit que cette Convention est le seul instrument qui reconnaît le phénomène de la prostitution comme étant un abus des droits humains et que c’est un acquis important pour les femmes.
 
Ces coalitions représentent donc les deux grands courants de pensée qui divisent actuellement le mouvement international des femmes et qui traversent également le mouvement des femmes au Québec.
 
D’une part, il y a des féministes qui considèrent que la prostitution relève de l’exploitation sexuelle des femmes et qu’elle constitue une violation des droits humains. Elles estiment que ce phénomène représente l’une des expressions les plus fortes de l’oppression des femmes et de la violence patriarcale. En conséquence, elles n’envisagent pas de solutions en dehors de l’élimination des rapports de domination entre les hommes et les femmes. Elles sont contre la criminalisation des prostituées et, à long terme, visent l’abolition de la prostitution.
 
D’autre part, il y a celles qui considèrent que le problème est l’illégitimité de la prostitution comme travail. Pour ces féministes, la stigmatisation et la criminalisation des travailleuses du sexe et de l’industrie est à la source des violations des droits des femmes prostituées et des violences qu’elles subissent. Pour elles, la solution est du côté de la décriminalisation totale de l’industrie du sexe et la reconnaissance de la prostitution comme travail légitime. Celles-ci ont au cœur de leur analyse la capacité d’action et d’auto-
 
organisation des travailleuses du sexe. Elles proposent d’utiliser les lois existantes en matière de travail et de violence pour contrer les abus, les fraudes et les diverses formes de violence que subissent ces travailleuses.
 
Pour les deux courants de pensée, les solutions à la stigmatisation et à la violence que vivent les femmes prostituées se situent dans un contexte de lutte pour l’égalité de toutes les femmes.
 
Même le langage rend compte de ces divergences. En effet, les mots ont une signification importante parce qu’ils décrivent la façon dont nous concevons la chose. Le terme «prostitution» évoque l’exploitation sexuelle des femmes alors que le terme «travail du sexe» fait référence à une activité économique qui, tout en reconnaissant l’existence de la violence et de l’exploitation à l’intérieur de l’industrie du sexe, situe le débat dans le domaine des droits des travailleuses. Dans le présent document, nous emploierons les deux termes en respectant le choix de chacune quant à cette question.
 
Malgré le fait que les débats soient toujours polarisés, le GAATW et la CATW ont participé, à Genève, en 1999, à un groupe de travail, mis sur pied par l’ONU sur les formes contemporaines de l’esclavage. Au-delà de leurs divergences, les représentantes de ces coalitions ont réussi à faire consensus sur un certain nombre de points notamment en ce qui a trait à la décriminalisation des femmes trafiquées et prostituées. Mais le mouvement des femmes doit poursuivre la réflexion et développer des actions qui protégeront véritablement les femmes concernées.
 
Volet national
 
À l’automne 1999, la Coalition nationale des femmes contre la pauvreté et la violence faite aux femmes adoptait vingt revendications pour la Marche mondiale des femmes, volet québécois. L’une de ces revendications portait sur le travail du sexe. Il s’agissait d’une revendication large portant sur le respect des droits et de la dignité des travailleuses du sexe notamment dans leurs rapports avec la police et les services sociaux et de santé.
 
Une brève consultation avait précédé cette décision. Le comité, spécialement chargé des revendications concernant la violence, avait produit un document de réflexion sur le sujet, document qui proposait la décriminalisation et la déjudiciarisation du travail du sexe. La question souleva beaucoup de débats et ne fit pas l’unanimité. Toutefois, un consensus s’est dégagé et les déléguées ont appuyé, par un vote majoritaire, la résolution suivante:

La Coalition a aussi adopté une seconde résolution qui allait dans le sens de poursuivre la réflexion, demandant à la Fédération des femmes du Québec d’en prendre la responsabilité. Un comité de travail, composé de sept personnes, fut mis sur pied sous la responsabilité de la présidente. Ce comité a reçu du Conseil d’administration de la FFQ le mandat suivant : effectuer les réflexions et les travaux nécessaires à la production d’un document servant de base à l’organisation d’une tournée dans toutes les régions du Québec. Le document devait contenir des propositions à être discutées par les membres de la FFQ. Suite à la tournée, le Conseil d’administration devrait apporter des propositions à l’assemblée générale du printemps 2002.
 
TRAVAUX DU COMITÉ
 
C’est donc avec ce mandat en poche que le comité a commencé ses travaux en faisant appel, à quelques reprises, à des ressources extérieures :

Les rencontres se sont déroulées dans un climat serein où les débats, nombreux, n’ont pas empêché l’écoute et le respect mutuel. Plusieurs questions n’étaient pas faciles et ont soulevé beaucoup de discussions: le travail du sexe, un métier comme un autre; le trafic sexuel des femmes et des fillettes dans un contexte de mondialisation; la prostitution et les lois; la protection des travailleuses du sexe face à l’exploitation et la violence; les différents courants féministes sur la sexualité; la responsabilité et les besoins des hommes «clients» dans cette industrie…
 
Le comité n’a pas résolu, loin de là, tous les aspects que la question de la prostitution et du travail du sexe soulève, chez nous comme partout dans le monde. La question est vaste et complexe. Cependant, nous avons mis l’accent sur les recommandations qui faisaient consensus parce que nous reconnaissions l’urgence d’agir. Nous considérons que le débat n’est pas terminé et que le présent document ainsi que la tournée de consultation auquel il va donner lieu ne sont qu’une étape dans une réflexion à long terme, qui concerne non seulement le mouvement des femmes mais toute la société québécoise.
 
Vous constaterez, en lisant la section sur les recommandations, que nous sommes arrivées à un consensus solide sur la décriminalisation des activités exercées par les prostituées et les travailleuses du sexe. La décriminalisation des activités pratiquées par les clients des travailleuses du sexe a fait l’objet d’un accord majoritaire. Par contre, nous n’avons pas fait consensus sur la question du proxénétisme. Nous demeurons extrêmement préoccupées par la question de la prostitution des adolescentes et des fillettes et, à ce sujet, nous ne tolérerons aucun compromis. Nous constatons aussi que pour plusieurs travailleuses du sexe, les activités qu’elles pratiquent et les services qu’elles vendent contre rémunération leur apparaissent comme un travail. Nous leur reconnaissons la liberté de choix qu’elles revendiquent comme nous le reconnaissons pour l’ensemble des femmes.
 
Les travaux du comité ont été traversés par les tendances que nous venons d’évoquer et qui sont présentées dans les deux textes d’analyse. Cependant, dans ce débat, les membres du comité sont demeurées vigilantes et se sont bien gardées de porter des jugements sur l’une ou l’autre des positions défendues. Nous vous invitons à faire preuve de la même vigilance dans les discussions qui entoureront cette question.
 
Pour celles qui favorisent l’abolition de la prostitution, qu’il suffise de rappeler que cette position trouve des alliés au sein de la droite politique et religieuse. Quant à celles qui défendent que le travail du sexe est un travail légitime, elles courent le risque de cautionner l’existence d’une industrie mondiale qui fait des milliards sur le dos des femmes. Comme on le voit, des jugements à l’emporte-pièce fausseront le débat et pourront porter un coup fatal à la solidarité dont nous avons grand besoin pour que le mouvement des femmes ne soit pas divisé au sortir des discussions.
 
NÉCESSITÉ D’AGIR
 
Au cours de nos travaux, des événements sont venus troubler notre quiétude et nous rendre encore plus conscientes de la nécessité d’intervenir rapidement. Un projet visant à développer une alternative à la judiciarisation des prostituées dans le quartier Centre-sud de Montréal a été fort mal accueilli par une proportion importante des résidents-es du quartier. Des consultations publiques, organisées par la Ville de Montréal, en mars 1999, ont très mal tourné. Des gestes de violence ont été posés à l’endroit des groupes qui défendent les prostituées mais aussi à l’endroit des «marginaux» du bas de la ville. Le projet a dû être abandonné.
 
Le comité a consacré toute une rencontre pour tenter de comprendre ce qui s’était passé et à prévoir une réaction publique dans le cas où les choses s’envenimeraient. Des femmes, résidentes de Centre-sud, ont lancé un appel au calme et au dialogue lors d’une conférence de presse qu’elles ont tenue en juin. Finalement, en août, la FFQ a participé à une conférence de presse, organisée par l’organisme Stella, en vue de dénoncer une recrudescence de la violence à l’endroit des prostituées.
 
Quoique nous pensions de la prostitution ou de l’industrie du sexe, les femmes qui se trouvent dans ce milieu comptent sur le respect, la compréhension et la solidarité des féministes. Nous ajoutons que notre solidarité doit s’exprimer d’une façon particulière du fait de l’extrême mépris et de la discrimination dont elles sont l’objet. Il y a maintenant plusieurs années, en effet, que la Fédération s’est donné comme priorité de défendre les femmes pauvres et les plus marginalisées.

 



 
Lutte des travailleuses du sexe: perspectives féministes
 
par Claire Thiboutot, Stella
 
Né au début des années soixante-dix aux États-Unis et en Europe, le mouvement des travailleuses du sexe s’est étendu au reste de la planète à partir du milieu des années 1980 et rassemble aujourd’hui des groupes de travailleuses du sexe des cinq continents. Au Québec, deux tentatives d’organisation des travailleuses du sexe eurent lieu en 1986 - lors de la mise sur pied de l’Alliance pour la sécurité des prostituées (ASP) - et en 1992 avec la fondation de l’Association québécoise des travailleuses et travailleurs du sexe (AQTTS). Ces deux initiatives ont précédé - et inspiré? - la création de l’organisme Stella en 1995.
 
Les groupes de travailleuses du sexe poursuivent l’un, l’autre ou l’ensemble des objectifs suivants: offrir soutien et information aux travailleuses du sexe, lutter contre la discrimination qui leur est faite et promouvoir la décriminalisation des métiers du sexe. Contrer l’isolement des travailleuses du sexe, favoriser leur autonomie dans l’industrie du sexe et dans l’ensemble de leur vie ainsi que soutenir le développement des solidarités sont également au cœur des préoccupations de ces groupes.
 
Depuis 30 ans, l’auto-organisation des travailleuses du sexe a permis leur émergence comme sujets de leurs expériences, de leurs subjectivités et de leur paroles.
 
La lutte des travailleuses du sexe est une lutte pour le respect de leurs droits humains fondamentaux, droits qui leurs sont niés systématiquement dans un contexte socio-légal où elles sont considérées comme des criminelles et stigmatisées comme putes.
 
Le travail du sexe : différents jobs, différentes conditions…
 
Au cours des dernières décennies, de nombreux changements sociaux, légaux, économiques et culturels ont modifiés les activités de l’industrie du sexe. Par exemple, à Montréal la prostitution de rue autrefois concentrée autour de l’axe formé par le boulevard Saint-Laurent et la rue Sainte-Catherine s’est déplacé, à partir du milieu des années 1980, vers différents quartiers résidentiels de la ville, causant un éparpillement géographique des prostituées de rue. Suite à la fermeture des bordels, plus ou moins tolérés jusqu’au milieu du vingtième siècle, les salons de massage ont fait leur apparition de même que les agences de call-girls et d’escortes, soutenus en cela par les développements technologiques en matière de communications (téléphonie, Internet). La disparition des cabarets où se produisaient les stripteaseuses a laissé la place aux bars de danseuses nues, avec ou sans «contacts».
 
Si les modalités de pratiques de la prostitution ont changé de même que les contextes de spectacle érotique et sexuel, ces différentes activités sont toutefois demeurées contrôlées par des réglementations municipales et provinciales et pénalisées dans certains cas en vertu du Code criminel canadien. Les personnes (en majorité des femmes…) qui pratiquent ces activités sont contrôlées ou criminalisées en vertu de ces lois et règlements: elles sont considérées socialement comme des hors-la-loi et des criminelles. Elles sont aussi marginalisées socialement comme «putes».
 
Nous nommons «travail du sexe» l’ensemble des pratiques où il y a échange d’argent ou de biens contre un ou des services sexuels: la prostitution de rue, les services d’escortes, la danse nue, le massage érotique, le téléphone érotique etc. Du point de vue des personnes qui exercent ces pratiques, le concept de travail du sexe permet de mettre de l’avant la dimension économique de ces activités. Il implique que nous percevions le travail du sexe, non pas comme une identité, une caractéristique sociale, légale ou psychologique des personnes qui le pratiquent, mais comme une activité génératrice de revenu. (Kempadoo & Doezema 1998). Le travail du sexe consiste autrement dit en la vente de sa force de travail pour l’accomplissement d’actes de nature érotique ou sexuelle contre rémunération. La capacité pour une travailleuse du sexe de négocier les différents termes de ses services (actes, tarifs et durée) dépend des conditions dans lesquelles elle travaille. Ces conditions sont extrêmement variables selon les contextes et peuvent varier de la relative autonomie à des conditions de quasi-esclavage.
 
De même qu’il y a différentes pratiques de travail du sexe, il y a autant de genres de personnes différentes qui travaillent dans l’industrie du sexe. Les activités de l’industrie étant dans plusieurs cas illégales, elles se pratiquent dans la clandestinité et changent fréquemment d’adresses et de lieux de pratiques. D’où la difficulté à tracer un portrait représentatif des personnes qui y travaillent. En étant très prudentes, on peut tout de même affirmer que :

Les médias et la plupart des recherches effectuées à ce jour ayant porté leur attention principalement sur les segments les plus visibles des pratiques de travail du sexe, il est difficile de faire des généralisations à propos de l’ensemble des travailleuses du sexe à partir de leurs résultats, de leurs portraits. Nous avons des informations concernant des prisonnières, des personnes en cure de désintoxication etc. Quelques-unes de ces informations sont relatives au travail du sexe dans le parcours de vie de ces femmes. Par contre nous avons peu d’information sur des femmes qui ont pratiqué le travail du sexe au cours de leur vie mais qui n’ont jamais été emprisonnées, jamais traitées en désintoxication ou n’ont jamais fréquenté de ressources en santé ou en hébergement offrant directement des services aux prostituées et autres travailleuses du sexe (Pheterson 1996).
 
Le concept du travail du sexe : une stratégie
 
Le concept du travail du sexe met de l’avant la dimension économique des activités dont il est question. La reconnaissance de la légitimité de ce travail permettrait aux travailleuses du sexe de lutter plus efficacement contre les conditions d’exploitation dans le travail, contre les abus et la discrimination. Pour les travailleuses du sexe ce n’est pas le travail du sexe qui est un problème mais le contexte socio-légal dans lequel il est pratiqué qui brime leurs droits et libertés et favorise les abus et la discrimination. Le travail du sexe n’étant pas reconnu demeure invisible, méconnu et pratiqué dans la clandestinité.
 
Nous ne revendiquons pas «…la reconnaissance d’une distinction entre le travail du sexe librement choisi et les situations d’abus et de violence». Ce que nous revendiquons c’est la reconnaissance de la légitimité du travail du sexe, cette légitimité étant la seule garantie possible de la mise en application de moyens réels et concrets de lutter contre les abus, la violence et l’exploitation dans tous les contextes où sont pratiqués le travail du sexe, sans distinction.
 
Nous reconnaissons la prostitution et le travail du sexe comme l’une des quatre grandes institutions à la base de l’oppression des femmes: contrainte à l’hétérosexualité, reproduction, mariage, prostitution (Pheterson 1996). Tout comme nous avons lutté comme féministes pour la reconnaissance du travail «invisible» des femmes à l’intérieur de ces institutions - éducation des enfants, soins aux malades, travail domestique, etc. - et contre les abus et les violences qui y prenaient place (et y prennent toujours place dans plusieurs cas), nous revendiquons la même reconnaissance pour ce qui con-cerne le travail du sexe. Sans cette reconnaissance, nos stratégies et nos actions visant à des changements relatifs aux conditions de vie et de travail des femmes sont vouées à l’échec. Cette reconnaissance passe par la décriminalisation complète du travail du sexe.
 
À partir de nos expériences, nous savons que toute lutte contre l’industrie a des effets directs sur les femmes qui pratiquent le travail du sexe, perpétue leur marginalisation et leur stigmatisation et laisse le champ libre aux abus de toutes sortes. Pour nous, il est clair que personne ne devrait être criminalisé pour participer à des échanges sexuels commerciaux ou pour les faciliter. En effet, toute stratégie abolitionniste (y compris celles visant uniquement les clients et le proxénétisme) contribue au maintien de la clandestinité de l’industrie et accroît les possibilités d’abus. Cette stratégie permet aussi aux gouvernements de mettre en place des mesures répressives et coercitives envers l’industrie du sexe se traduisant invariablement par des mesures de contrôle des travailleuses du sexe. Des descentes de police plus fréquentes dans les bordels et autres lieux de pratiques du travail du sexe mènent à une augmentation des abus envers les personnes qui y travaillent. De plus, définir la prostitution et le travail du sexe comme formes d’exploitation sexuelle et violation des droits humains des femmes tel qu’il est fait dans un cadre d’analyse abolitionniste a de graves conséquences pour l’ensemble des femmes, car cette définition maintient le caractère illicite et transgressif de l’institution de la prostitution et soutient la pérennité du stigma « pute ».
 
Pute et criminelle
 
Le stigma « pute » et les lois anti-prostitution sont parties intégrantes d’un système politique qui refuse d’accorder aux femmes le plein respect de leurs droits humains. Les concepts de prostitution et de prostituée sont des instruments sexistes de contrôle social. L’examen des mécanismes sous-jacents de ces instruments légitimant tant d’injustices nous mènent toujours du contexte spécifique du travail du sexe aux questions plus générales concernant les luttes des femmes pour leur autonomie économique, corporelle, social et sexuelle (Pheterson 1996).
 
En effet, le stigma « pute », quoique ciblant en premier lieu les femmes prostituées, contrôle toutes les femmes. Si les prostituées et autres travailleuses du sexe représentent la pute, et par définition sont coupables, les autres femmes sont toujours suspectes. Le stigma pute est un instrument de contrôle sexiste prêt à l’usage pour attaquer toute femme ou groupe de femmes considérées trop autonomes, par résistance ou par expression. Les femmes peuvent être également stigmatisées comme putes en raison de leur travail, couleur, classe sociale, sexualité, expériences d’abus, origine ethnique, leur statut marital ou leur genre (Pheterson 1996).
 
Le stigma « pute » pervertit aussi notre langage. Par exemple, du point de vue des travailleuses du sexe, la vente de services sexuels n’équivaut pas à «vendre son corps» et ne saurait être comparé à la vente d’organes. Cette dernière comparaison, où il y a perte irréversible d’un organe du corps humain, ne correspond pas à l’expérience des femmes qui pratiquent une forme ou une autre de travail du sexe. En effet celles-ci n’expérimentent pas une perte irréversible de quelque chose de profondément essentiel et vital à leur corps et à leur personne à travers la pratique du travail du sexe. L’idée que l’on se fait d’une telle perte a plutôt à voir avec la définition sociale d’une pute, d’une femme déchue, c’est-à-dire d’une femme qui a perdu respectabilité et légitimité à cause de son comportement sexuel transgressif.
 
Il faut comprendre que la norme, dans le cadre des institutions patriarcales, est que les femmes fournissent des services sexuels (ainsi que domestiques) aux hommes gratuitement. Le caractère transgressif de l’institution de la prostitution est que les femmes demandent explicitement de l’argent ou une forme de rémunération quelconque pour ces services. C’est d’ailleurs ce qui explique que les lois anti-prostitution ne sont pas des lois qui condamnent les abus, la discrimination, donc des lois qui protégeraient les femmes, mais bien des lois qui condamnent les initiatives économiques et géographiques des femmes, de leurs associés, entourage ou patrons (Pheterson 1996). En effet, au Canada, par exemple, la prostitution n’est pas illégale en soi, mais tenir une maison de débauche l’est ainsi que vivre des fruits de la prostitution d’autrui (proxénétisme).
 
Les lois anti-prostitution ne sont rien d’autre finalement que la transposition légale des mesures patriarcales de contrôle social des femmes qu’est la stigmatisation. Le contrôle du corps des femmes s’exerce ainsi en limitant leurs libertés économiques (non-reconnaissance de la vente de service sexuels comme travail des femmes et condamnation criminelle de l’activité) et leur liberté de se déplacer et d’immigrer.
 
Ces lois n’ont jamais réussi à éliminer l’industrie du sexe ni la demande pour des services sexuels. Surtout, elles n’ont jamais empêché des femmes de recourir au travail du sexe pour gagner leur vie. Par contre, ces lois anti-prostitution sont un obstacle majeur aux respects des droits humains des femmes travailleuses du sexe. Stigmatisées comme pute, leur travail n’étant pas reconnu comme tel, elles font face à de nombreuses difficultés et discriminations notamment en matière d’accès à la protection de leur santé et de leur sécurité. Elles ne peuvent chercher à être protégées par les normes en matière de santé et sécurité au travail. Victimes d’actes criminels ou d’agressions, leurs demandes d’aide ou d’indemnisations sont rejetées : « T’as juste à changer de job », « T’as couru après ». Au plan juridique, la criminalisation du travail du sexe a aussi pour conséquence que les travailleuses ont des dossiers criminels et des amendes à payer onéreuses. Le but de la décriminalisation est de contrecarrer ces actes non éthiques et abusif à l’égard des travailleuses du sexe (et de toute femme stigmatisée comme pute). Ces actes comprennent aussi: harcèlement et extorsion par la police ou d’autres autorités, absence de traitement juste et équitable durant l’arrestation, emprisonnement sans procès, absence d’enquête ou de prévention des crimes commis contre des travailleuses du sexe et menaces et représailles contre la famille et l’entourage des travailleuses du sexe (notamment dans l’application des lois sur le proxénétisme).
 
Mondialisation
 
Dans le contexte actuel de mondialisation, les conditions de vie des femmes sont de plus en plus difficiles. La dégradation de ces conditions de vie est encore plus notable pour les femmes des pays désavantagés économiquement et dont les économies domestiques et de subsistance ont été transformées. Dans ce contexte où les options pour gagner sa vie sont réduites, et où le fardeau de la responsabilité du support de leurs familles incombe en grande partie aux femmes, celles-ci ont à migrer en très grand nombre afin de trouver un moyen de subsistance viable (GAATW 1997).
 
Le marché du travail étant encore très marqué par la division sexuelle du travail, les femmes sont généralement reléguées au secteur des services. Le travail des femmes dans ce secteur est encore très souvent informel, sous-payé, non protégé, non syndiqué, et dans le cas du travail du sexe, criminalisé. Le résultat de cette conjoncture est une marginalisation persistante des femmes sur le marché du travail, et une féminisation de la pauvreté et de l’immigration (GAATW 1997).
 
Les mouvements de migration à l’échelle nationale, régionale et internationale des femmes reflètent cette division du travail avec un nombre croissant de femmes migrantes répondant aux demandes nationales et internationales pour des travailleuses domestiques, des partenaires de mariage, des travailleuses du sexe et des travailleuses en manufactures. En même temps, plusieurs États ont mis en place des politiques d’immigration restrictives qui affectent les femmes migrantes en les rendant plus vulnérables aux abus, à la pauvreté et à la violence, et moins en mesure de négocier des salaires et des conditions de travail équitables (GAATW 1997).
 
Le trafic des femmes et l’immigration des femmes liée au travail doivent être compris dans ce contexte de rôles féminins traditionnels, des désavantages structurels dont les femmes sont l’objet dans un marché du travail sexué, et de la féminisation de l’immigration à l’échelle du monde. La diminution des opportunités de migration pour du travail légal combinée à une demande dans le secteur tertiaire pour le travail sexuel, domestique et manufacturier crée une contradiction entre les politiques officielles et les demandes réelles (GAATW 1997).
 
Des tierces parties, peu scrupuleuses, prennent avantage de cette contradiction. Le caractère non reconnu et la non-régulation du travail des femmes dans ces secteurs couplés à l’absence ou l’inadéquation des normes du travail et des législations dans ces domaines (voire la criminalisation) créent les conditions permettant des pratiques de recrutement frauduleuses et des conditions de travail abusives (GAATW 1997), sans parler des conditions inhumaines et dangereuses des transports illégaux de clandestins.
 
Il nous faut lutter contre les politiques économiques, nationales et internationales, qui accroissent la pauvreté des femmes et ont un impact sur leurs conditions de vie. Il nous faut dans le même temps, lutter pour la reconnaissance et la légitimité du travail formel et informel des femmes, y compris le travail domestique et le travail du sexe, et combattre les abus et les conditions d’exploitation dans ces sphères de travail. Il nous faut questionner les politiques d’immigration des pays occidentaux qui réduisent les capacités des femmes d’immigrer et de travailler légalement. Il nous faut encourager l’application des lois et des efforts pour arrêter la fraude et la coercition dans l’embauche et le recrutement des femmes que ce soient dans le cadre du travail domestique, manufacturier ou du sexe. Toutes les travailleuses devraient être protégées des situations d’exploitation mais cela doit être fait via des lois contre les abus et non pas des lois contre la prostitution. Il faut s’assurer que les droits humains des femmes en tout temps et en tout lieu soient respectés: le droit à un travail salarié, le droit d’immigrer, le droit à des bonnes conditions de travail, le droit à la dignité.
 
Malgré les avancées féministes des dernières décennies, les femmes continuent - et continueront longtemps encore - de gagner leur vie dans des sphères de travail liées aux rôles féminins traditionnels. Nous avons le devoir comme féministes de veiller à ce que ces formes de travail soient reconnues et de voir à ce que les droits de ces femmes comme citoyennes et travailleuses soient protégés. C’est pourquoi il faut être vigilantes, s’interroger et veiller à ce que nos stratégies ne nuisent pas aux femmes pour qui ces formes de travail (domestique, sexuel ou autres) sont valables, viables, voir nécessaires. Il faut faire attention à ce que nos stratégies d’action ne soient pas teintées de classisme (préjugés de classe) et de racisme… Revendiquer la reconnaissance du travail des femmes, même si ce travail est lié aux rôles traditionnels et aux institutions patriarcales, c’est affirmer que ce travail-là n’est pas banal et c’est favoriser sa transformation dans l’intérêt des femmes.
 
D’autres œuvres consultées
 
Kempadoo K. et Doezema J. Eds. Global Sex Workers. Rights, Resistances and Redefinition. Routledge, New York et Londres,1998.
 
Neave, M. 1988. «Overview of National Legal Responses to Prostitution - Prostitution Laws - Strategies for the future.» In Sex Industry and the AIDS Debate : Report and Conference Papers from the First National Sex Industry Conference, Melbourne, Australia, 25-27 October 1988 (St Kilda, Australia : Prostitutes Collective of Victoria) : pp. 45 56.
 
Pheterson, G. 1996. The Prostitution Prism. Amsterdam University Press.
 
Tabet, Paula 1987. «Du don au tarif. Les relations sexuelles impliquant une compensation», dans Les temps modernes, 490, pp.1-53.
 
Thiboutot, Claire 1994. «1975-1995. Le mouvement des prostituées : bientôt vingt ans», dans Perspectives, vol. 7 no1.
 
Global Alliance Against Traffic in Women (GAATW), 1997. Plan of Action. North American Regional Consultative Forum on Trafficking in Women. 30 avril - 3 mai 1997, Victoria, Canada.
 




Imaginer et travailler pour un monde où les femmes auront le droit de ne pas être prostituées
 
par Nicole Kennedy, ex-travailleuse du CEAF
 
Il y a des féministes - partout dans le monde, dans les groupes travaillant auprès des femmes prostituées et dans d’autres groupes - qui questionnent la prostitution comme institution. Tout en reconnaissant la nécessité de lutter contre la discrimination envers les femmes dans l’industrie du sexe, ces féministes croient qu’il est essentiel de situer la prostitution dans le continuum de l’oppression des femmes par les hommes.
 
Selon cette perspective, il ne suffit pas de reconnaître que certaines femmes se prostituent « volontairement », ne se considèrent pas comme victimes et réussissent à contrôler la plupart du temps
 
l’échange qu’elles ont avec leur client. Au même titre où il y a eu un questionnement de l’institution du mariage, nous devons questionner l’institution de la prostitution. Certaines diraient que ces institutions sont les deux faces d’une même réalité : le contrôle des femmes.
 
Le simple fait que la très grande majorité des personnes prostituées sont des femmes et que les «consommateurs» sont presque exclusivement des hommes doit nous questionner et nous mener à l’analyser à la lumière du statut inférieur des femmes en tant que groupe social.
 
Très souvent, quand on réfléchit sur les causes de la prostitution, on s’arrête sur la femme prostituée ou travailleuse du sexe; on se demande comment elle a abouti là. Elle est vue comme « anormale » ou déviante. Même dans le débat en cours dans le mouvement féministe, nous discutons la question du choix d’une femme de faire le travail du sexe. Est-ce que c’est un métier ou est-ce qu’il s’agit de l’exploitation sexuelle? Les hommes restent plutôt invisibles. Leurs «besoins» sont vus comme normaux, voire inévitables. Pourquoi y a-t-il ce consensus social sur l’impératif du besoin masculin pour les produits du marché du sexe?
 
De plus, il est très important de situer le débat dans le contexte d’inégalité dans lequel les femmes vivent - surtout la violence physique et sexuelle et la pauvreté - ainsi que l’impact du patriarcat sur les hommes et les femmes, notamment leur sexualité, si nous voulons véritablement améliorer le sort des femmes de la planète.
 
Nous allons donc examiner le lien entre ce contexte d’oppression et le phénomène de l’exploitation sexuelle. Nous terminerons en proposant quelques pistes de solutions découlant de cette analyse.
 
La violence envers les femmes
 
Un rapport du Fonds de l’ONU pour la population (FNUAP) sorti en septembre 2000 estime que de mettre fin à la discrimination envers les femmes dans le monde constitue une priorité urgente. Intitulé « Vivre ensemble, dans des mondes séparés », le rapport confirme ce que les groupes de femmes connaissaient déjà: la situation des femmes est loin d’être réglée, malgré les gains importants du XXe siècle. Les statistiques sur l’incidence de la violence faite aux femmes - qui est en augmentation, selon le FNUAP - sont éloquentes: au moins une femme sur trois a été battue, contrainte à avoir des rapports sexuels ou a été victime de sévices quelconques au cours de sa vie, le plus souvent de la part de personnes de sa connaissance; quatre millions de femmes et filles sont achetées et vendues dans le monde entier chaque année; deux millions de fillettes âgées de 5 à 15 ans sont, quant à elles, livrées à la prostitution1.
 
Aussi récemment qu’en 1983, au Canada, un mari avait le droit d’avoir des relations sexuelles avec son épouse sans son consentement parce que l’idée que les femmes étaient la propriété des hommes perdurait encore. La loi voulait par ailleurs punir celui qui s’appropriait ou «salissait» la propriété d’un autre homme. À ce moment, suite aux pressions des groupes de femmes, la loi a été modifiée pour redéfinir le viol comme étant une atteinte à la personne au lieu d’une atteinte à la moralité ou à la propriété et pour introduire le concept de violence dans l’acte de viol en l’appelant désormais « agression sexuelle ». Ainsi, les femmes ont obtenu, du moins en théorie, le droit de dire non aux relations sexuelles avec leurs maris.
 
Malgré un certain progrès, l’incidence de la violence faite aux femmes au Québec et au Canada aujourd’hui témoigne qu’on est loin d’avoir gagné la guerre menée sur le corps des femmes :

Le contrôle du corps des femmes par les hommes aux fins de la reproduction et de la sexualité est l’une des pierres angulaires du système patriarcal. L’oppression des femmes par le biais de la sexualité (la violence sexuelle, l’imposition de rôles sexuels, la contrainte de l’activité sexuelle des femmes au modèle de mariage hétérosexuel, la commercialisation du corps des femmes, etc.) est l’une des formes d’oppression marquantes pour les femmes.
 
Il y a plusieurs études qui démontrent un lien entre l’abus sexuel, l’inceste et la violence familiale et l’arrivée des jeunes femmes dans la prostitution. Ce n’est pas le cas pour toutes les femmes dans cette industrie, mais l’impact de la violence sexiste, surtout quand elle est commise par un proche à de multiples reprises, est profond et peut rendre une femme plus vulnérable à d’autres formes d’exploitation. Par ailleurs, il ne faut pas sous-estimer l’impact sur l’ensemble des femmes des stéréotypes sexistes et de la violence sexuelle, même pour celles qui ont la bonne fortune de ne pas en avoir été victimes. Les femmes sont beaucoup trop valorisées, et pire, se valorisent encore trop en fonction de leur apparence et de leur sexualité. Le fléau de l’anorexie chez les adolescentes, en est un exemple; la pandémie du manque d’estime de soi chez l’ensemble des femmes en est un autre.
 
L’industrie du sexe est ancrée principalement dans les rapports de domination basés sur le sexe, mais aussi sur la classe sociale, l’origine ethnique, la couleur de la peau, l’âge et le pays d’origine. Parmi les femmes, ce sont principalement les femmes plus pauvres, autochtones ou immigrantes qui sont prostituées. L’âge moyen d’entrée dans la prostitution à l’échelle planétaire est de 14 ans4, ce qui veut dire qu’il y a des filles aussi jeunes que huit ans qui sont sur le «marché» du sexe.
 
Selon certains groupes de défense de travailleuses du sexe, l’affirmation que l’industrie du sexe dépend d’un réservoir de personnes vulnérables et exploitées pour combler les besoins de ce marché, contribue à marginaliser davantage les travailleuses du sexe. Selon ces groupes, en qualifiant ces dernières en tant que «victimes», nous nions leur capacité de décider de leur plein gré de faire le travail du sexe. Or, il ne s’agit pas là d’un manque de respect pour les femmes dans la prostitution, mais d’un constat de la réalité de cette industrie. Il ne faut pas non plus perdre de vue les clients. Il est presque certain qu’ils ne font pas la distinction entre la femme «forcée» et celle qui a décidé de faire carrière dans l’industrie du sexe. Ils vont même parfois exiger des filles «vierges», pour ne pas courir le risque d’être exposé au VIH. Même si certaines travailleuses du sexe peuvent dicter aux clients quels services seront offerts, il y aura toujours des consommateurs qui, ne trouvant pas ce qu’ils veulent avec une femme, vont simplement aller en voir une autre, probablement plus démunie (pauvre, sans papiers, toxicomane, vieille, etc.). La distinction entre une prostitution forcée et une prostitution volontaire nous semble donc fausse et permet de cacher la réalité de l’exploitation et de la destruction de la vie de millions de femmes et de fillettes.
 
Le système patriarcal est également responsable de la fausse division entre les «bonnes femmes» (celles qui appartiennent à un homme - père ou mari), et les «putes» (celles qui n’appartiennent à aucun homme et à tous les hommes), une division qui perdure. C’est ce lien de propriété qui déterminait la valeur sociale des femmes. Dès qu’une femme rejetait ce contrôle, elle était punie. Le « stigma de la putain » prend ses origines dans la suprématie masculine. Il nes’agit pas seulement d’une mentalité « moralisatrice ». Le problème de la stigmatisation des travailleuses du sexe ne sera pas réglé par un simple changement d’attitude, sans s’attaquer aux rapports d’inégalité sur lesquels cette industrie repose.
 
La pauvreté des femmes
 
L’inégalité hommes-femmes se manifeste aussi par la pauvreté. Les femmes sont les plus pauvres des pauvres dans le monde. Selon une étude de Statistique Canada, une femme sur cinq est pauvre. Les statistiques illustrent bien les écarts qui perdurent encore, même dans notre société où les hommes ne sont plus les seuls pourvoyeurs de la famille: les femmes gagnent 75% du revenu annuel des hommes et constituent 60% des personnes gagnant un salaire minimum. Les rôles traditionnels encore trop souvent dévolus aux femmes - seules à s’occuper des enfants, des personnes âgées et malades - se traduisent par les emplois à temps partiel, l’accès réduit au marché du travail, la non-reconnaissance financière et sociale de leur travail.
 
Historiquement, les femmes ont eu recours à la prostitution quand elles n’avaient pas accès aux seuls autres choix (le mariage, la religion) pour gagner leur vie. Même si dans les pays industrialisés beaucoup de choix de carrière sont désormais ouverts aux femmes, trop d’entre elles se retrouvent encore dans la pauvreté avec peu ou même aucune porte de sortie. À Montréal, dans le quartier Centre-Sud, les intervenantes de rue ont remarqué une augmentation de la prostitution de «fin du mois» depuis les coupures dans l’aide sociale et la détérioration des conditions sociales.
 
La mondialisation de l’industrie du sexe
 
La pauvreté et la violence faite aux femmes constituent la toile de fond de l’essor de l’industrie mondiale du sexe. Un effet brutal de la mondialisation néolibérale (comportant des coupures dans les programmes sociaux dans le Nord et la perte des emplois et des économies traditionnelles dans les pays du Sud), le trafic sexuel des femmes, est considéré par certaines personnes comme l’un des plus importants obstacles à l’égalité des femmes et au respect de leurs droits fondamentaux.
 
L’industrie mondiale du sexe comprend le trafic des femmes des pays du Sud vers les pays industrialisés, surtout en Europe de l’Ouest et aux États-Unis; entre les pays du Sud; les fillettes du Népal et du Bangladesh qui sont trafiquées en Inde; le tourisme sexuel au Brésil, au Costa Rica, etc.; le trafic des femmes des Philippines et de la Thaïlande vers l’industrie du sexe du Japon, de l’Australie et du Canada; l’afflux massif de femmes d’Europe de l’Est dans l’industrie du sexe d’Europe de l’Ouest, des États-Unis et maintenant d’Asie.
 
Cette industrie génère plus de 52 milliards de dollars par année. Au moins neuf millions de femmes se trouvent dans l’industrie; certaines estiment que le nombre total est plus près de 40 millions de femmes. Beaucoup de femmes se trouvent dans l’industrie du sexe par tromperie, violence et menaces de violence. Les trafiquants ciblent des communautés pauvres et vulnérables, où souvent les familles se font convaincre de vendre leurs filles. Quant au trafic à l’intérieur du Canada (d’une ville ou région à l’autre) ou entre le Canada et les États-Unis, ce n’est pas un accident si des femmes autochtones, des femmes noires et des adolescentes sont nombreuses parmi celles qui sont exploitées par les trafiquants «domestiques». À Winnipeg, où les femmes autochtones représentent 7% de la population, 70% des prostituées sont autochtones.5
 
Les femmes trafiquées pour la prostitution ou le travail du sexe subissent des conditions intolérables, parfois semblables à l’esclavage: interdiction de sortir, confiscation de leurs papiers d’identité et passeport, servitude, violence physique et sexuelle à répétition, MTS, dépression et suicide. Souvent elles sont emprisonnées par les autorités étatiques pour raison d’immigration illégale, etc.
 
Le modèle de la sexualité proposé par l’industrie du sexe
 
La socialisation sexiste des hommes à l’échelle planétaire leur a permis, et permet encore à bon nombre d’entre eux, de voir les femmes comme des êtres inférieurs. Les rôles traditionnellement accordés aux femmes, tous centrés sur les besoins des hommes, sont imposés par les institutions comme le mariage et la religion, mais aussi par des hommes individuellement qui emploient la violence, notamment la violence sexuelle, pour illustrer leur domination. Même si dans certains pays les femmes ont gagné plus de liberté et ont réussi à créer des sociétés plus égalitaires sur le plan des rôles sexuels, l’impact de la réduction des femmes au statut d’objets sexuels et aux fonctions de service aux hommes (mère, ménagère, soignante, etc.) perdure et justifie toujours la violence sexuelle.
 
Le désir sexuel est influencé par la société, par l’éducation, la culture, la religion; il n’est pas inné. Les hommes apprennent l’idée qu’ils peuvent recourir aux services d’une femme prostituée ou aux autres produits du marché du sexe et de plus, que ce comportement correspond aux normes de la masculinité. La prostitution est fondée sur l’idée que les hommes ont un besoin irrépressible qui doit être comblé par l’accès sexuel à une femme dont le plaisir n’est pas pris en considération. Il y a une similarité avec la situation des femmes mariées ici, il n’y a pas si longtemps. Le contrat de mariage accordait des droits sexuels aux maris auxquels les femmes devaient se soumettre. Dans le contexte de la prostitution, c’est l’échange d’argent qui donne ces droits aux hommes. Dans les deux cas, il s’agit de la consécration du pouvoir sexuel des hommes et d’une véritable colonisation du corps des femmes. Loin d’être un modèle de libération sexuelle, la sexualité de la prostitution n’est qu’un reflet de la domination masculine.
 
L’omniprésence du modèle patriarcal de la sexualité et les tabous entourant la sexualité ont créé un vide que l’industrie du sexe a comblé. Nos besoins d’information, de représentation culturelle et d’expression en matière de sexualité ne doivent pas être assujettis aux impératifs du marché. Comme féministes, nous avons toujours revendiqué le contrôle de nos corps, incluant la liberté d’expression sur le plan sexuel. Nous avons défendu le droit des femmes au plaisir. Il est vrai que nous avons besoin d’explorer davantage la question de la sexualité. Mais avant de promouvoir la commercialisation de la sexualité comme outil de liberté sexuelle, il serait peut-être plus stratégique de trouver des solutions aux inégalités et à l’aliénation générée chez les femmes et les hommes par les rapports de domination.
 
Éliminer l’exploitation sexuelle pour l’ensemble des femmes et la stigmatisation des travailleuses du sexe: des pistes de solution
 
Afin d’éliminer la stigmatisation des femmes prostituées et travailleuses du sexe, des groupes ici et ailleurs dans le monde travaillent pour décriminaliser ou réglementer l’industrie du sexe. Or, ce mouvement n’est pas uniquement composé des groupes de défense de travailleuses du sexe. Un nombre croissant de gouvernements qualifie le «secteur du sexe» de source de création d’emplois pour les femmes et de source importante de devises étrangères pour payer la dette. Même l’Organisation Internationale du Travail (OIT) tente d’appeler à la reconnaissance économique de l’industrie du sexe, soulignant l’expansion de cette industrie et sa contribution non reconnue au Produit National Brut (PNB) de quatre pays du Sud-Est asiatique.6
 
La banalisation de la prostitution en la qualifiant de secteur économique contribue à l’augmentation de l’exploitation de millions de femmes très pauvres et vulnérables, comme c’est le cas dans les pays où la prostitution est légalisée. Évidemment, quand l’industrie est légalisée, il est encore plus difficile pour les femmes de résister aux nombreuses pressions pour y participer. Dans ces pays, les hommes sont encouragés à «consommer», nécessitant toujours plus de femmes pour combler la demande. Il est révélateur de constater que dans les Pays-Bas, où la prostitution est légalisée, ce ne sont pas les Hollandaises qui répondent à la demande; 80% des femmes dans les rues et dans les vitrines sont des immigrantes des pays du Sud, dont 70% n’ont pas de papiers, donc ont été trafiquées.
 
La criminalisation des femmes contribue à perpétuer les stéréotypes et la violence envers les femmes prostituées et rend encore plus difficile, pour celles qui le désirent, d’arrêter. Pour cette raison, il est urgent de décriminaliser les femmes dans la prostitution ou le travail du sexe. Par contre, les trafiquants et proxénètes qui tirent des profits énormes sur le dos des femmes dans l’industrie devraient être criminalisés. Le besoin urgent de protection des femmes comme groupe social contre l’exploitation sexuelle doit être reconnu dans la législation de tous les pays si nous voulons mettre fin au trafic sexuel. Puisque le système judiciaire a intégré les valeurs sexistes, capitalistes et racistes de la société en général, nous devons nous assurer que le crime est défini en termes des dommages causés par cette exploitation et non en termes moraux. Le Code criminel tel qu’il existe présentement est utilisé presque exclusivement contre celles qui offrent des services et non contre ceux qui en profitent.
 
Nous avons le droit de rêver et de travailler à créer un monde où il n’y aurait plus d’exploitation sexuelle, et où la sexualité ne serait plus assujettie aux tabous, aux contrôles, et à la violence, mais partagée librement entre personnes égales, mais nous n’y arriverons pas demain. Les actions que nous devons privilégier sont à mener dans le court et long terme. Elles devraient répondre aux besoins immédiats des femmes prostituées ou travailleuses du sexe, par exemple, éliminer la répression exercée par les forces policières, améliorer l’accès à la justice et aux services sociaux et de santé, et faire de l’éducation autour des préjugés concernant les femmes dans l’industrie du sexe. Elles devraient en même temps nous permettre d’avancer - et non de nuire à - l’objectif à long terme: la fin de la violence et de l’exploitation sexuelle des femmes et la fin de leur pauvreté.
 
D’autres œuvres consultées
 
Chroniques féministes (revue belge), dossier spécial « Prostitution et féminisme », janvier / février 1994: PLATEAU, Nadine, « À propos des droits des prostituées ».
 
JEFFREYS, Sheila, The Idea of Prostitution, North Melbourne, Australie, Spinifex Press, 1997.
 
LOUIS, Marie-Victoire, « Cette violence dont nous ne voulons plus », entrevue avec M.-V. Louis, suite à la publication d’une brochure du même titre publiée en 1991 par l’Association contre les violences faites aux femmes en France.
 
LOUIS, Marie-Victoire « Le corps humain mis sur le marché », Manière de Voir 44, Paris, Le Monde Diplomatique, mars-avril 1999.
 
MONTREYNAUD, Florence, « La prostitution, un droit de l’homme? », Manière de Voir 44, Paris, Le Monde Diplomatique, mars-avril 1999. Paris, 1999.
 
Notes

  1. Fonds de l’ONU pour la population, L’État de la population mondiale 2000 : Vivre ensemble dans des mondes séparés, Ch. 3, « Mettre fin à la violence à l’égard des femmes et des filles ».
    Site Web : http://www..unfpa.org/swp/2000/français/
  2. Statistiques tirées de la fiche de l’ICREF sur la violence faite aux femmes et aux jeunes filles, produites dans le cadre de la Marche mondiale des femmes en l’an 2000.
  3. Dépliant du groupe de défense des femmes prostituées, Alliance for the Safety of Prostitutes, Vancouver, 1984.
  4. Janice Raymond, « Légitimer la prostitution en tant que travail : L’organisation internationale du Travail appelle à la reconnaissance de l’industrie du sexe », 1999.
    Site Web : www.uri.edu/artsci/wms/hughes/catw/ilofr.htm
  5. « Un métier sans pitié », La Presse 12 septembre 2000.
  6. Janice Raymond, « Légitimer la prostitution en tant que travail : L’organisation Internationale du Travail appelle à la reconnaissance de l’industrie du sexe ».

 


 
Recommandations
 
Rappelons d’abord que toutes les perspectives féministes, indépendamment de leurs désaccords par ailleurs, s’entendent sur certains enjeux: le désir des femmes de reprendre en main et de contrôler leur sexualité, la lutte à poursuivre contre l’exploitation sexuelle et toutes les formes de violence faites aux femmes, l’identification de la domination patriarcale dans toutes les sphères de la vie et ses conséquences pour les femmes et, finalement, le refus de punir et de châtier les femmes prostituées ou travailleuses du sexe.
 
Ajoutons que nous sommes nombreuses à souhaiter ardemment de vrais débats sur les rapports affectifs et sexuels entre les hommes et les femmes et une redéfinition de ces rapports pour qu’ils soient fondés sur l’égalité et le respect mutuel tout en acceptant la pluralité des façons de les vivre. Ces débats, par ailleurs, ratissent bien plus large que la question du travail du sexe et concernent toute la société.
 
C’est en tablant sur ces convergences que le comité de réflexion sur le travail du sexe et la prostitution a pu en arriver aux recommandations qui suivent. Après un an de discussion, nous avons pu établir des consensus solides sur toutes les recommandations sauf celle qui porte sur la décriminalisation des clients qui fait l’objet d’un accord majoritaire. Nous avons tout de même décidé de vous les soumettre toutes car nous croyons que les débats sont nécessaires et que c’est ensemble que nous élaborerons des positions plus précises dans certains cas.
 
Nous souhaitons que ces recommandations soient largement débattues dans le mouvement des femmes. Des femmes, aujourd’hui même, sont stigmatisées et criminalisées à cause de leurs pratiques. Lors de la Marche mondiale des femmes, nous avons clairement pris position contre cette discrimination. Il nous incombe donc de poursuivre notre analyse tout en réclamant des pouvoirs publics des mesures concrètes pour mettre fin aux violences et aux discriminations vécues par ces femmes.
 
Dans cet esprit, nous vous présentons les recommandations suivantes, sachant qu’elles constituent autant de mesures ou d’actions à promouvoir dans l’immédiat.

    1)  Nous réclamons de l’ensemble des pouvoirs publics et pour toutes les travailleuses du sexe l’accès aux services sociaux, de santé, judiciaires et policiers sans discrimination ni préjugés ainsi que des formations spécifiques pour les intervenants-es des réseaux publics. Nous croyons aussi que toutes les ressources mises sur pied par des féministes (centres de femmes, CALACS, maisons d’hébergement), devraient être en mesure d’offrir aux femmes qui vivent de la prostitution les services et le soutien dont elles peuvent avoir besoin.

    2)  Nous réclamons de l’État québécois que dans la campagne de sensibilisation sur la violence faite aux femmes, promise lors de la Marche mondiale des femmes, une place soit faite à la problématique du travail du sexe et de la prostitution.

Il est plus que temps de lutter contre les préjugés, la discrimination et la violence dont les femmes sont victimes. Nous demandons aussi que soit mis sur pied le comité intersectoriel promis par le gouvernement.

    3)  Nous réclamons unanimement du gouvernement fédéral la décriminalisation des pratiques exercées par les prostituées et les travailleuses du sexe.

En effet, quelle que soit notre opinion ou position politique sur l’ensemble de la question, nous sommes convaincues que la criminalisation des prostituées, danseuses, téléphonistes érotiques, escortes, etc., a comme conséquence une marginalisation accrue et diverses formes de discrimination à l’endroit des femmes dans l’industrie.

    4)  Nous réclamons majoritairement du gouvernement fédéral la décriminalisation des activités pratiquées par les clients des travailleuses du sexe.

De l’avis de plusieurs, ces activités ne constituent pas des actes criminels méritant des sanctions judiciaires, et nous notons que la criminalisation des clients n’a pas fait la preuve de son efficacité au regard de l’objectif de l’élimination de la prostitution. Les cas d’abus, d’extorsion ou de violence doivent être traités comme tous les cas de violence faite aux femmes et sanctionnés par la loi. Nous maintenons pas ailleurs notre opposition à l’utilisation de mineures-rs pour des activités sexuelles contre rétribution. Ces pratiques relèvent de l’abus sexuel et doivent être réprimés par la loi. Par contre, celles qui souhaitent le maintien de la criminalisation des clients invoquent la nécessité de trouver des moyens de dissuasion pour en arriver à l’élimination de la demande en matière de services sexuels contre rémunération.

    5)  Nous proposons qu’une consultation publique soit organisée par le gouvernement fédéral sur tous les articles du Code criminel qui touchent le travail du sexe et la prostitution.

Nous pensons qu’un travail sérieux s’impose pour réviser le code criminel canadien et nous assurer qu’il respecte les droits et liberté des femmes et leur droit à la sécurité. Les travailleuses du sexe et les groupes de femmes doivent être associés à cette consultation.

    6)  Nous réclamons des gouvernements fédéral et provincial la révision de l’ensemble des lois ayant trait à la violence faite aux femmes et de leur mise en application afin d’assurer aux femmes le respect de leur droit à l’égalité, la sécurité, la dignité et la protection de leur vie privée.

Cette revendication portée par la Marche mondiale des femmes au Québec s’applique aussi aux travailleuses du sexe qui sont souvent discriminées lorsqu’elles portent plainte dans des cas de violence et d’agressions sexuelles.

    7)  Nous réclamons le droit pour toutes les prostituées et travailleuses du sexe de s’organiser afin de défendre leurs droits et d’obtenir un financement des gouvernements fédéral et provincial pour les organismes qui les représentent.

    8)  Puisque nous défendons la liberté pour toutes les femmes de voyager, de se déplacer et d’émigrer, nous revendiquons du gouvernement canadien et de tous les gouvernements de la planète :

    Que les femmes trafiquées puissent recevoir un statut de réfugiées ou la possibilité de retourner dans leur pays si elles le souhaitent.

    Que le passé sexuel d’une femme, le fait de pratiquer ou d’avoir pratiqué la prostitution ou le travail du sexe, son statut d’immigrante illégale ou d’apatride ne puissent être utilisés contre elle par les autorités étatiques, policières et juridiques.

 
ANNEXE I
CODE CRIMINEL DU CANADA
Articles concernant la prostitution

 
Tenue d’une maison de débauche
 
210. (1) Est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de deux ans quiconque tient une maison de débauche.
 
Propriétaire, habitant, etc.
 
(2) Est coupable d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire quiconque, selon le cas :
 
a) habite une maison de débauche;
 
b) est trouvé, sans excuse légitime, dans une maison de débauche;
 
c) en qualité de propriétaire, locateur, occupant, locataire, agent ou ayant autrement la charge ou le contrôle d’un local, permet sciemment que ce local ou une partie du local soit loué ou employé aux fins de maison de débauche.
 
Le propriétaire doit être avisé de la déclaration de culpabilité
 
(3) Lorsqu’une personne est déclarée coupable d’une infraction visée au paragraphe (1), le tribunal fait signifier un avis de la déclaration de culpabilité au propriétaire ou locateur du lieu à l’égard duquel la personne est déclarée coupable, ou à son agent, et l’avis doit contenir une déclaration portant qu’il est signifié selon le présent article.
 
Devoir du propriétaire sur réception de l’avis
 
(4) Lorsqu’une personne à laquelle un avis est signifié en vertu du paragraphe (3) n’exerce pas immédiatement tout droit qu’elle peut avoir de résilier la location ou de mettre fin au droit d’occupation que possède la personne ainsi déclarée coupable, et que, par la suite, un individu est déclaré coupable d’une infraction visée au paragraphe (1) à l’égard du même local, la personne à qui l’avis a été signifié est censée avoir commis une infraction visée au paragraphe (1), à moins qu’elle ne prouve qu’elle a pris toutes les mesures raisonnables pour empêcher le renouvellement de l’infraction.
 
S.R., ch. C-34, art. 193.
 
Transport de personnes à des maisons de débauche
 
211. Est coupable d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire quiconque, sciemment, mène ou transporte ou offre de mener ou de transporter une autre personne à une maison de débauche, ou dirige ou offre de diriger une autre personne vers une maison de débauche.
 
S.R., ch. C-34, art. 194.
 
Entremetteurs
 
Proxénétisme
 
212. (1) Est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de dix ans quiconque, selon le cas:
 
a) induit, tente d’induire ou sollicite une personne à avoir des rapports sexuels illicites avec une autre personne, soit au Canada, soit à l’étranger;
 
b) attire ou entraîne une personne qui n’est pas prostituée vers une maison de débauche aux fins de rapports sexuels illicites ou de prostitution;
 
c) sciemment cache une personne dans une maison de débauche;
 
d) induit ou tente d’induire une personne à se prostituer, soit au Canada, soit à l’étranger;
 
e) induit ou tente d’induire une personne à abandonner son lieu ordinaire de résidence au Canada, lorsque ce lieu n’est pas une maison de débauche, avec l’intention de lui faire habiter une maison de débauche ou pour qu’elle fréquente une maison de débauche, au Canada ou à l’étranger;
 
f) à l’arrivée d’une personne au Canada, la dirige ou la fait diriger vers une maison de débauche, l’y amène ou l’y fait conduire;
 
g) induit une personne à venir au Canada ou à quitter le Canada pour se livrer à la prostitution;
 
h) aux fins de lucre, exerce un contrôle, une direction ou une influence sur les mouvements d’une personne de façon à démontrer qu’il l’aide, l’encourage ou la force à s’adonner ou à se livrer à la prostitution avec une personne en particulier ou d’une manière générale;
 
i) applique ou administre, ou fait prendre, à une personne, toute drogue, liqueur enivrante, matière ou chose, avec l’intention de la stupéfier ou de la subjuguer de manière à permettre à quelqu’un d’avoir avec elle des rapports sexuels illicites;
 
j) vit entièrement ou en partie des produits de la prostitution d’une autre personne.
 
Idem
 
(2) Par dérogation à l’alinéa (1)j), est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de quatorze ans quiconque vit entièrement ou en partie des produits de la prostitution d’une autre personne âgée de moins de dix-huit ans.
 
Infraction grave - vivre des produits de la prostitution d’une personne âgée de moins de dix-huit ans.
 
(2.1) Par dérogation à l’alinéa (1)j) et au paragraphe (2), est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement minimal de cinq ans et maximal de quatorze ans quiconque vit entièrement ou en partie des produits de la prostitution d’une autre personne âgée de moins de dix-huit ans si, à la fois :
 
a) aux fins de profit, il l’aide, l’encourage ou la force à s’adonner ou à se livrer à la prostitution avec une personne en particulier ou d’une manière générale, ou lui conseille de le faire;
 
b) il use de violence envers elle, l’intimide ou la contraint, ou tente ou menace de le faire.
 
Présomption
 
(3) Pour l’application de l’alinéa (1)j) et des paragraphes (2) et (2.1), la preuve qu’une personne vit ou se trouve habituellement en compagnie d’un prostitué ou vit dans une maison de débauche constitue, sauf preuve contraire, la preuve qu’elle vit des produits de la prostitution.
 
Infraction concernant la prostitution d’une personne âgée de moins de dix-huit ans
 
(4) Est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans quiconque, en quelque endroit que ce soit, obtient ou tente d’obtenir, moyennant rétribution, les services sexuels d’une personne qui est âgée de moins de dix-huit ans ou qu’il croit telle.
 
Présomption
 
(5) Pour l’application du paragraphe (4), la preuve que la personne de qui l’accusé a obtenu des services sexuels ou a tenté d’en obtenir lui a été présentée comme ayant moins de dix-huit ans constitue, sauf preuve contraire, la preuve que l’accusé croyait, au moment de l’infraction présumée, qu’elle avait moins de dix-huit ans.
 
L.R. (1985), ch. C-46, art. 212; L.R. (1985), ch. 19 (3e suppl.), art. 9; 1997, ch. 16, art. 2.
 
Infraction se rattachant à la prostitution
 
213. (1) Est coupable d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire quiconque, dans un endroit soit public soit situé à la vue du public et dans le but de se livrer à la prostitution ou de retenir les services sexuels d’une personne qui s’y livre :
 
a) soit arrêté ou tente d’arrêter un véhicule à moteur;
 
b) soit gêne la circulation des piétons ou des véhicules, ou l’entrée ou la sortie d’un lieu contigu à cet endroit;
 
c) soit arrête ou tente d’arrêter une personne ou, de quelque manière que ce soit, communique ou tente de communiquer avec elle.
 
Définition de « endroit public »
 
(2) Au présent article, « endroit public » s’entend notamment de tout lieu auquel le public a accès de droit ou sur invitation, expresse ou implicite; y est assimilé tout véhicule à moteur situé dans un endroit soit public soit situé à la vue du public.
 
L.R. (1985), ch. C-46, art. 213; L.R. (1985), ch. 51 (1er suppl.), art. 1.
 
 
ANNEXE II
Quelques définitions

 
La décriminalisation signifie le retrait des articles 210-213 du Code criminel (ceux concernant le travail du sexe). Des groupes féministes comme le Comité canadien d’action sur le statut des femmes et la Société Elizabeth Fry ont pris position en faveur de la décriminalisation des travailleuses du sexe. Il s’agit, pour ces groupes, d’un moyen de protéger les travailleuses du sexe contre l’emprisonnement, la pauvreté accrue et la marginalisation. De plus, si les travailleuses du sexe ne couraient aucun risque d’accusation criminelle, elles seraient davantage portées à dénoncer la violence exercée contre elles par les clients, la police ou les conjoints.
 
La légalisation du travail du sexe signifie la réglementation ou la régulation. Ce système se caractérise souvent par l’enregistrement des travailleuses du sexe auprès du service de police, l’obligation d’exercer leur travail avec un permis et un contrôle médical obligatoire. La légalisation est contrôlée par l’État. En terme concret, elle prend la forme de «maisons de prostitution» ou de quartiers réservés du type «red light». Cette approche considère le travail du sexe comme un mal nécessaire, une nécessité sociale.
 
La plupart des groupes de défense des travailleuses du sexe sont farouchement opposés à la légalisation. Ils craignent notamment la création d’un double standard: d’un côté les travailleuses du sexe légales munies d’un permis émis par le gouvernement et, de l’autre, celles qui ne se conforment pas aux règles et qui pratiquent leur travail dans la marginalité, aggravant ainsi leur vulnérabilité.
 
Toujours selon ces groupes, la légalisation pourrait aussi amener l’État à devenir une sorte de proxénète (pimp) qui contrôle les maisons de prostitution ou encore, tire profit des bénéfices du travail sexuel.
 
La déjudiciarisation signifie pour l’État de lancer le mot d’ordre aux corps policiers et aux municipalités de ne pas harceler les travailleuses du sexe au nom du Code de la route ou d’autres lois et règlements.