


Des crimes et des femmes |
Printemps 2000 |
La prostitution de rue
Quand la haine frappe
Haïr les prostitués-es, les rejeter, les bannir, c'est tellement plus
facile que l'idée de les tolérer, d'accepter de cohabiter avec elles
tout en leur demandant d'améliorer leur comportement.
L'idée que les prostitués-es habitent le quartier, qu'elles vivent
quelque part, ne leur donne aucun droit aux yeux des citoyens qui souhaitent les
cantonner dans un « Red Light » ou les repousser dans une « zone
» à côté du casino.
Le projet du Comité Montréalais sur la Prostitution de Rue visait
à régler les tensions qui avaient mené à la violence
en 1993 alors que des citoyens s'étaient lancés dans une «
chasse aux sorcières », contres les prostitués-es
dans le but de nettoyer leur quartier.
Il y avait eu un colloque international sur la Prostitution à Montréal
en 1996. Pour y donner suite la ville avait formé le Comité Montréalais
sur la Prostitution qui regroupait des prostitués-es, des citoyens, des
élus municipaux, des policiers, la Cour municipale et plusieurs organismes
sociaux intéressés par la question.
La Société Elizabeth Fry du Québec y était.
Le projet mis de l'avant par le Comité sur la Prostitution consiste à
privilégier la médiation à l'arrestation et aux amendes qui,
de toute façon, ne règlent pas le problème décrié
par les citoyens. La police et la Cour reconnaissent que le système actuel
n'a pas d'impact.
Pour une première fois, il y avait consensus autour de la réduction
des méfaits: ramasser les seringues, les condoms, éviter les rues
résidentielles, éviter le bruit, le harcèlement.
Jamais cependant le Comité Montréalais n'a envisagé de « nettoyer
» le quartier. Malheureusement, si les citoyens n'attendent rien de moins
que cela, nous sommes dans deux mondes à part.
Les membres du Comité ont travaillé sur la base que les personnes
prostitués-es ont droit de vivre quelque part et que la prévention
est la voie à suivre. Les citoyens qui se sont déplacés dans
ces assemblées publiques du mois de mars n'ont pas voulu entendre les motifs
derrière la proposition. Leur rejet se nourrissait d'ignorance, de la conviction
que leur quartier deviendrait un bordel à ciel ouvert, que tous les travailleurs
du sexe du Canada allaient se retrouver là.
Les citoyens ont tellement paniqué que certains ont menacé les membres
du Comité, forçant le retrait du projet. Même l'Église
et les médias ont alimenté la haine et le mépris. Seuls quelques
journalistes ont aidé à faire passer le message.
Par ailleurs aucun de ces « opposants » n'a proposé d'option
autre que bannir les prostitués-es de leur quartier. Si ces citoyens veulent
la tolérance zéro, il faudra en faire un vrai débat de société
et consentir à augmenter les taxes pour doubler les forces policières.
Si c'est un Montréal à l'image de la ville de New York du maire
Giuliani qu'on veut, il y a un prix énorme! Qu'ont-ils fait des itinérants,
marginaux et des pauvres de Manhattan?
Les citoyens n'ont pas compris que le Comité Montréalais proposait
d'augmenter et non de réduire les interventions, d'agir auprès des
prostitués-es, de réduire les méfaits. Il ne s'agissait pas
d'une proposition de « laisser-aller ».
Toutes les études, dans tous les pays et toutes les villes qui ont été
confrontés à ce problème confirment le bien-fondé
de notre orientation. La marginalisation des prostitués-es ne fait qu'accroître
le danger. En décriminalisant, on intervient pour prévenir les problèmes
et, de ce fait, on aurait un meilleur contrôle de la situation.
La décriminalisation permet que la prostitution se fasse avec un minimum
de risques pour la société, et de sécurité pour les
prostitués-es. On ne peut pas penser qu'en chassant les prostitués-es
des rues commerciales du centre-ville, elles ne se retrouveront pas dans des rues
résidentielles.
Une telle affaire nous amène à nous demander à quoi bon consulter.
Les gens sont contre de toute façon c'est l'intolérance qui
mène. Pourquoi fallait-il « consulter »? Depuis quand
la police et la Cour demandent la permission avant de changer de mode d'intervention?
C'est une recette quasi-assurée d'échec!
Ce projet aurait pu être mis en place, sans tambours ni trompettes.
Tous les « ramasseurs » de seringues et les intervenants sociaux auraient
pu commencer et le projet se serait imposé dans les faits. Les citoyens
auraient eu la preuve que cette approche valait mieux. De toute façon,
il y a déjà un début de déjudiciarisation et de ramassage
des déchets. Spectre de Rue et Stella sont des organismes déjà
actifs dans le quartier. Déjà, le nombre de poursuites judiciaires
a diminué de 50 % à Montréal depuis cinq ans.
Quel désastre! On aurait voulu trouver un meilleur moyen pour faire échouer
le projet qu'on aurait pas fait mieux. Il faut maintenant que la Ville de Montréal
reprenne le « leadership », et revienne avec son projet amélioré.
Il serait inacceptable que tout ce travail réalisé depuis plus de
trois ans se solde par un recul et le maintien du statut quo.