Justice pénale | Automne 1994 |
Cette entrevue s’inscrit dans la série que Femmes et Justice désire présenter sur les femmes impliquées dans la cause des femmes ayant des démêlés avec la justice.
"J’ai toujours été au bon moment au bon endroit", rappelle Jeannette Boisseau, qui a su profiter de cet art sans l’avoir cultivé.
Un exemple frappant: son entrée sur le marché du travail en 1958. Mère de famille qui a élevé ses enfants, elle est propulsée sur le marché du travail à 42 ans. Si rien ne l’avait préparée à travailler, elle n’en fera pas moins sa place rapidement dans un milieu un peu plus masculin.
"C’est le vicaire de ma paroisse qui m’a référée au directeur de la prison de Bordeaux", raconte Jeannette Boisseau. À l’époque, on cherchait une femme comme secrétaire bilingue, avec comme caractéristique principale ne pas être trop jeune, puisqu’il s’agissait d’embaucher la première femme à travailler dans une prison pour hommes. Au début, je n’avais pas la permission de sortir du bureau, ni d’aller manger avec les autres", rappelle Mme Boisseau.
La situation a rapidement évolué, lui permettant d’établir des contacts avec les détenus. Elle est même devenue leur confidente, démontrant alors l’importance et les bienfaits d’une présence féminine dans des unités de détention masculines.
Pourquoi pas ?
Dans son travail auprès du colonel Charles Gearney, directeur de la prison de Bordeaux, Jeannette Boisseau a été amenée à travailler aux plans de la future prison Tanguay. Elle était consultée régulièrement. Lorsqu’est venu le temps de choisir la direction de ce nouvel établissement, son supérieur, avant de quitter, l’a encouragée à postuler.
"J’ai hésité à poser ma candidature, raconte Jeannette Boisseau. Je me suis interrogée longtemps en me disant que, si je disais non, je le regretterais toute ma vie... J’ai donc dit oui. Je ne l’ai jamais regretté, j’ai aimé énormément", souligne celle qui en parle encore avec une passion à peine contenue.
Nommée directrice, Jeannette Boisseau se retrouve à l’ancienne prison Fullum, dirigée par les sœurs du Bon Pasteur. On est en 1962. Cette prison sera fermée pour être démolie et permettre la construction de Parthenais. À l’époque, les uniformes sont gris, l’univers de la prison est du même ton.
Le changement avec la nouvelle prison Tanguay sera remarquable. Le nouvel environnement proposé aux femmes détenues est propre, neuf et surtout coloré. Ayant participé aux plans,
Mme Boisseau avait suggéré l’utilisation de couleurs sur les murs.
La première initiative de cette femme est de trouver du tissu de couleur verte pour permettre aux femmes de confectionner leurs uniformes dans une nouvelle teinte.
Interrogée sur ce vent de changement qui a favorisé la construction d’une prison laïque pour femmes plutôt qu’une aile rattachée à une prison masculine, Jeannette Boisseau nous ramène dans le contexte de l’époque. "Il y avait déjà un précédent avec la prison Gomin, à Québec. L’expérience avait démontré la viabilité du projet", souligne-t-elle. À cela, il faut ajouter le fait que le Québec était en pleine révolution tranquille, au début du féminisme, et que l’École de criminologie de l’Université de Montréal avait vu le jour en 1960.
L’avant-gardisme ne touchait pas tous les domaines de la vie en prison. On ne fournissait pas les serviettes sanitaires, par exemple. "C’est nous qui les fabriquions avec de la bourre et du tissu en coton fromage", mentionne Mme Boisseau. Pour montrer jusqu’à quel point la situation était particulière, la directrice de Tanguay avait reçu un appel d’une importante compagnie en ce domaine qui voulait lui vendre au prix coûtant tout un lot de boîtes qui avaient été mal imprimées. "J’ai demandé l’autorisation à Québec. J’ai dû essuyer un refus catégorique. Nous avons donc continué à fabriquer nous-mêmes nos serviettes, jusqu’au jour où le Dr Maurice Gauthier, devenu directeur de la détention au Québec, apprenant la situation, nous autorise à acheter dorénavant les serviettes sanitaires nécessaires."
Première femme administratrice d’une prison au Québec, Jeannette Boisseau, y restera près de vingt ans. Avant la bataille des serviettes sanitaires, Mme Boisseau aura dû se battre pour que la prison fournisse des culottes et des soutiens-gorge.
En tant que directrice de la prison Tanguay, Jeannette Boisseau a instauré les bases d’un environnement mieux adapté aux besoins des femmes détenues, afin d’amoindrir le problème majeur de ces dernières: le manque d’estime de soi. À défaut de programme scolaire ou de formation professionnelle, Tanguay permettait aux femmes d’effectuer des travaux de couture, de buanderie et d’entretien. Il y avait également quelques contrats de travail extérieurs. Si, à la prison de la rue Fullum, on ne permettait pas de visite-contact, on remédiera à la situation à Tanguay. On fera même davantage, en organisant des visites familiales dans le gymnase pour des repas et des pièces de théâtre.
"Nous avons reçu des gens tels que Thérèse Casgrain, Nicole Germain et Édith Serei lors de défilés de mode où les détenues montraient leurs réalisations en couture. Un très bon point pour augmenter leur estime de soi et souligner leur créativité", souligne Jeannette Boisseau, qui n’a jamais eu à vivre d’incidents déplorables lors de ces activités.
Sous son règne, Jeannette Boisseau a opté pour des relations franches et directes avec les détenues. "J’ai continué mon rôle de mère de famille; souvent, il suffisait de les écouter", rappelle celle qui a établi de véritables liens de confiance avec les détenues. "J’ai d’ailleurs demandé au personnel de toujours m’appeler en premier s’il y avait un problème, plutôt que de demander aux gars de Bordeaux de venir."
Pour donner du poids à son propos, Jeannette Boisseau rappelle cet incident où, dans une aile, les filles se sont révoltées. "Elles étaient toutes tassées dans le fond de l’aile. Je suis entrée dans l’aile et j’ai commencé à leur parler... Finalement, tout s’est passé dans l’ordre, et on a résolu le problème sans violence."
"... l’affaire de tout le monde ! "
C’est sur l’initiative de Mme Boisseau que commence le rapatriement des femmes sous sentence fédérale à Tanguay. En fait, la situation est venue par elle-même, nous explique la première intéressée. "À Kingston, on attendait de pied ferme une jeune femme francophone condamnée pour avoir brûlé un des enfants qu’elle gardait. J’étais incapable de l’envoyer dans cette prison où on lui réservait un accueil plutôt menaçant", rappelle Jeannette Boisseau. De connivence avec le
Dr Gauthier, directeur de la détention du Québec, la femme a été incarcérée à Tanguay, sans pour autant demander de l’argent au palier fédéral. "On travaillait dans l’illégalité, mais dans le fond, cela faisait l’affaire de tout le monde", ajoute Mme Boisseau, qui n’a pas tardé à répéter l’expérience.
Tanguay a donc commencé à garder, l’une après l’autre, des femmes sous sentence fédérale, pour finalement les garder toutes. Il faut se rappeler le contexte politique québécois de l’époque, qui invitait à être responsable de ses affaires. Humble, Jeannette Boisseau souligne: "Je n’aurais jamais pu faire tous ces changements sans l’appui du Dr Gauthier. C’est grâce à lui si le milieu de la détention au Québec a connu ces améliorations".
On ne peut toutefois pas cacher l’apport, le degré d’ouverture certain de la directrice de la prison de Tanguay. Lors de la grève du personnel dans toutes les prisons du Québec, grève qui a duré un mois, elle a organisé l’environnement, en laissant notamment les portes ouvertes 24 heures sur 24, au lieu d’enfermer toutes les filles dans leur cellule comme on lui en avait intimé l’ordre. "Si j’avais suivi la directive de Québec, j’aurais eu les filles contre nous. On était huit ou neuf pour s’occuper de tout. Nous avons eu assez de fun... Les filles ont été correctes. On n’a jamais eu de troubles."
À la rentrée du personnel après ce mois de grève, Jeannette Boisseau a tenu à accueillir personnellement tout son monde et à les encourager. "J’ai été critiquée pour ce geste, mais c’était pour moi important. La majorité du personnel n’était pas favorable à la grève, il fallait bien reprendre la routine après la grève."
Sans le crier sur les toits, Jeannette Boisseau a insufflé un style de gestion collé aux besoins des femmes détenues. À défaut de cours universitaires, on offrait une écoute et des activités susceptibles de les aider à reconquérir une certaine estime de soi. "Vous savez, à l’époque, on avait recours à la prison automatique. Je me souviens d’avoir reçu une jeune femme qui avait hérité d’une sentence de huit jours pour n’avoir pas payé ses contraventions. On a trouvé une autre solution..." C’est toujours elle qui s’organisait pour obtenir quelques heures de liberté à une détenue. "Je demandais l’autorisation à Québec afin d’offrir quelques heures à une femme qui méritait d’aller chercher un emploi."
Son passage comme directrice de la prison de Tanguay a été également marqué par la crise d’octobre 1970. Elle a encore su imposer sa façon de faire. "Lorsque l’on m’a amené, après l’heure du souper, cette quinzaine de femmes qui étaient à Parthenais depuis trois jours et qui avaient été nourries aux sandwiches, j’ai gardé la cuisinière et du personnel pour leur offrir leur premier repas chaud."
Elle a réservé une section spéciale pour ces femmes. "Il nous fallait faire attention. Ce n’étaient pas des criminelles." Les conditions de détention de ces femmes étaient extraordinaires. Elles n’avaient pas le droit de communiquer avec l’extérieur et plusieurs étaient inquiètes de leurs enfants. Comme le directeur de la détention du Québec avait perdu tous ses pouvoirs, Mme Boisseau n’a pas tardé à trouver d’autres moyens pour essayer d’arranger les choses. Elle est allée jusqu’à faire des téléphones clandestins afin de savoir si tout allait bien pour les enfants de ces femmes, sans pour autant dire qui elle était ni d’où elle téléphonait
Une retraite bien active
Sans être l’instigatrice du projet, Jeannette Boisseau a participé du mieux qu’elle le pouvait au projet de création d’une maison de transition. "Je souhaitais, comme beaucoup d’autres, une maison. C’était une préoccupation à ce moment-là. On mettait dehors des femmes avec rien. On ne faisait que les inciter à recommencer. On se devait d’avoir un intermède pour les encadrer, les aider à s’organiser", rappelle celle qui avait commencé à obtenir quelques heures de liberté pour ses détenues. Elle était d’ailleurs présente lors de l’inauguration de la maison, en présence de Thérèse Casgrain.
En 1978, Jeannette Boisseau décide de prendre sa retraite. "J’ai toujours été intéressée au milieu, mais le poids de la gestion – pas seulement des détenues mais aussi du personnel – était devenu trop important." La retraite à peine commencée, elle reste impliquée en devenant commissaire aux libérations conditionnelles au Québec. Elle a occupé ce mandat de deux ans à plusieurs reprises, jusqu’au début de 1994.