Justice pénale | Automne 1997 |
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La réduction des méfaits2 est une politique sociale relativement récente, qui porte sur l’usage des drogues. Elle suscite, depuis quelques années, de plus en plus d’intérêt, notamment en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas, comme voie de solution au problème que pose le syndrome d’immunodéficience acquise (sida), chez les usagers de drogues par injection (UDI). Même si la réduction des méfaits peut s’étendre à l’ensemble des drogues, y compris l’alcool, elle a surtout été appliquée aux usagers de drogues par injection, en raison de la gravité des dommages causés par cette pratique au cours des dernières années3.
L’origine et la nature de la politique de réduction des méfaits
La réduction des méfaits a pour priorité d’atténuer les répercussions négatives de l’usage des drogues. Cette optique contraste avec l’abstinence, comportement préconisé en Amérique du Nord et axé surtout sur la diminution de la prévalence de l’usage des drogues. Vue sous l’angle de la réduction des méfaits, une stratégie axée sur la diminution de la prévalence de l’usage peut déboucher sur une augmentation des problèmes qui y sont reliés. Autrement dit, les deux optiques mettent l’accent sur des aspects différents. La politique de réduction des méfaits vise à atténuer les problèmes accompagnant l’usage des drogues et, à cet égard, estime que l’abstinence n’est pas une option réaliste ni un objectif réalisable pour tout le monde, surtout à court terme. Cela ne veut pas dire que la réduction des méfaits et l’abstinence soient des méthodes antagonistes, mais plutôt que l’abstinence n’est pas le seul objectif acceptable ou ayant une grande portée. La réduction des méfaits suppose une hiérarchisation des objectifs : des objectifs plus réalistes, à court terme, devant mener à un usage plus sécuritaire et, éventuellement, à l’abstinence, si les circonstances s’y prêtent. Plutôt qu’une approche morale, c’est une approche fondée avant tout sur le pragmatisme.
La stratégie de réduction des méfaits s’est imposée surtout au cours de la dernière décennie, en raison de l’épidémie grandissante du sida, l’usage des drogues étant un des facteurs de risque les plus fréquemment associés au virus de l’immunodéficience humaine (VIH), jugé responsable du sida.
Dans tous les pays, l’infection par le VIH touche non seulement les toxicomanes, mais aussi leurs partenaires sexuels. Plusieurs études menées aux États-Unis et au Royaume-Uni ont montré que l’UDI est responsable de 60% à 100% des cas d’infection par le VIH chez les hétérosexuels, et qu’au moins 40% des usagers de drogues par injection entretenaient des contacts avec des non-utilisateurs.
Somme toute, le sida a déclenché l’intérêt que suscite la réduction des méfaits. Avant l’épidémie généralisée du sida, le taux de mortalité chez les toxicomanes était relativement peu élevé en raison de périodes d’abstinence et d’une récupération naturelle (Brettle, 1991; Wille, 1983). Durant les années 1980, on a observé chez les toxicomanes une augmentation rapide des cas de mortalité, qu’ils soient liés ou non au sida (Galli et coll., 1988; Stroneburner et coll., 1989). La propagation d’une nouvelle forme de tuberculose résistante aux médicaments prend aussi de l’ampleur chez les toxicomanes et chez d’autres personnes vivant dans un contexte de surpopulation.
"L’augmentation de la mortalité chez les toxicomanes est l’un des principaux éléments à l’appui du concept de réduction des méfaits et la raison pour laquelle on ne doit plus se fier au rétablissement spontané des consommateurs de drogues." (Brette, 1991:25)
Si cette constatation reflète la principale raison qui milite en faveur d’une politique de réduction des méfaits, il y en a d’autres. La réduction des méfaits a retenu l’attention, non seulement en raison de la propagation du sida, mais également en raison des effets de la prohibition des drogues. Les crimes violents, la guerre des gangs, l’encombrement des prisons et la corruption des corps policiers sont autant de phénomènes liés à la prohibition. Ces manifestations ont atteint de nos jours une ampleur telle que les décideurs, les intervenants et les citoyens s’interrogent de plus en plus sur les solutions de rechange qui pourraient être apportées à la politique prohibitionniste actuelle.
L’exemple d’Amsterdam
Amsterdam est perçue, dans bien des milieux, comme l’une des "capitales de la drogue" en Europe, en raison de l’usage et du trafic qui y sont répandus; mentionnons que, compte tenu de la petite taille de sa population (700000 habitants), cette ville se trouve aux prises avec un problème aigu d’héroïne. En vertu des lois néerlandaises, les drogues dites "fortes" et "douces" continuent d’être illégales, mais l’application de la loi a un caractère pragmatique; on s’entend généralement pour reconnaître que, dans une économie ouverte, les drogues ne peuvent pas toutes être bannies (Wijngaart, 1991). La loi néerlandaise sur l’opium fait une distinction entre les drogues qui présentent des risques inacceptables et celles qui en présentent de moins grands. Dans la pratique, cela revient à dire que les drogues douces (produits du cannabis) peuvent être achetées et consommées dans les cafés4. Les efforts des corps policiers portent surtout sur le trafic à grande échelle des drogues fortes, telles l’héroïne et la cocaïne. Les usagers sont traités de façon plutôt libérale de sorte qu’ils n’ont aucune raison de se réfugier dans l’anonymat. L’approche est fondée sur la conviction que la condamnation morale des groupes à risque mène inévitablement à leur isolement et ne débouche sur aucun effet positif et que, d’autre part, la majorité des consommateurs de drogues est disposée et apte à changer de comportement si les conditions s’y prêtent. S’il est vrai que ces mesures s’adressent avant tout aux usagers de drogues, elles peuvent aussi être bénéfiques à l’ensemble de la population en ce qu’elles permettent de réduire la propagation du VIH entre les usagers de drogues par injection et les personnes avec lesquelles ils entrent en contact.
À Amsterdam, l’application de la politique de réduction des méfaits parmi les usagers de drogues se fait très simplement: on prend d’abord contact avec le plus grand nombre d’usagers possible et on leur communique de l’information sur des pratiques sexuelles et une utilisation des drogues plus sécuritaires. Pour s’assurer que les changements d’attitude vont se refléter sur les comportements des usagers, on leur distribue gratuitement (ou à très faible coût) des condoms et des seringues propres, directement ou à proximité des lieux où ils se rassemblent. On offre des traitements gratuits (sans longue liste d’attente) à ceux et celles qui veulent cesser de consommer. Quant aux consommateurs qui ne désirent plus s’injecter des drogues ou qui tout au moins veulent diminuer cette pratique mais ne sont pas en mesure de se défaire par eux-mêmes de leur dépendance, ils peuvent s’inscrire à une cure d’entretien à la méthadone.
Les "travailleurs de rue" visitent fréquemment les lieux publics où se rassemblent les usagers et, en plus de leur fournir de l’information sur les drogues, ils servent de point de contact pour ceux et celles qui veulent se prévaloir des programmes de méthadone et d’échange de seringues. De plus, les médecins du Service municipal de santé visitent les postes de police deux fois par jour pour établir le contact avec les consommateurs en état d’arrestation. Non seulement ils leur dispensent les premiers soins, mais ils les renseignent sur les services de soutien et, à l’occasion, leur administrent de la méthadone. La plupart des usagers ont facilement accès à l’unité mobile du programme de méthadone à faible dose, connue familièrement sous le nom d’"autobus de la méthadone". Les autobus empruntent un trajet connu à travers la ville d’Amsterdam, avec des arrêts aux divers endroits de rassemblement des adeptes de la drogue. Les usagers de narcotiques peuvent y recevoir une dose liquide de méthadone, à la condition d’y avoir été dirigés par un médecin du Service municipal de santé. Pour pouvoir participer au programme, ces personnes doivent consulter un médecin au moins une fois tous les trois mois, s’inscrire au fichier central du programme de méthadone et accepter de ne pas emporter de doses à la maison. Elles ne sont pas obligées de rencontrer un conseiller et ne sont pas soumises à des tests d’urine. En plus de distribuer des condoms et de procéder à l’échange de seringues, le personnel des autobus dispense des renseignements sur le sida.
Les consommateurs qui veulent cesser les injections sont adressés à une clinique externe de méthadone. Ces cliniques leur font subir des tests d’urine deux fois par semaine; elles dispensent des services médicaux et psychosociaux. Les clients peuvent aussi y trouver de l’aide pour résoudre leurs problèmes financiers et de logement et pour obtenir des conseils juridiques. Les cliniques leur prescrivent, s’il y a lieu, des doses d’entretien à la méthadone, puisque cette substance est un moyen efficace pour stabiliser la consommation tout en réduisant le risque de propagation du VIH et des autres infections attribuées aux seringues. Une fois l’état du client stabilisé, son médecin généraliste prend la relève pour la prescription de méthadone. À Amsterdam, environ la moitié des médecins généralistes prescrivent de la méthadone et ils sont assistés dans leur travail par les médecins rattachés aux cliniques. À la suite de toutes ces mesures, on estime qu’entre 50% et 70% des usagers de drogues d’Amsterdam entretiennent des contacts avec un ou plusieurs de ces services.
L’approche mise de l’avant par les autorités des Pays-Bas présente plusieurs avantages. Elle permet de maintenir le contact avec la majorité des toxicomanes et de maximiser ainsi les occasions de leur venir en aide et de réduire les méfaits. Les ressources qui auraient servi à détecter et à mettre en accusation les usagers de marijuana sont affectées plutôt à la lutte contre les gros trafiquants et les personnes qui se livrent à des activités de blanchiment de l’argent (Buning, 1990); Wijngaart, 1991). Les usagers de drogues n’étant pas traités comme des criminels, ils ne sont pas obligés de se réfugier dans l’anonymat de sorte qu’il devient possible de les contacter pour leur offrir des services qui réduisent les effets dommageables de l’usage des drogues et de la propagation d’infections. À la suite de l’application de ces mesures, le partage de seringues et d’aiguilles a diminué, l’âge moyen des usagers de drogues par injection a augmenté et le nombre d’individus séropositifs, à Amsterdam, est demeuré stationnaire, et ce depuis 1985 (Buning, 1990; Buning et coll., 1988; Hartgers et coll., 1989).
L’exemple de Merseyside
La Regional Health Authority est responsable de dix districts dans le Nord-Ouest de l’Angleterre, dont cinq sont situés dans le comté de Merseyside. Merseyside compte une population de 1,5 million d’habitants et le taux de chômage est estimé à environ 15% (un taux qui atteint 70% dans certains quartiers de Liverpool, la plus grande ville de la région).
Le Misuse of Drugs Act (MOD) est la principale loi qui réglemente l’usage des drogues au Royaume-Uni. L’opium est, de fait, la seule drogue dont l’usage soit prohibé par la loi.
À Merseyside, les services de réduction des méfaits procèdent à l’échange de seringues, fournissent des conseils, prescrivent des drogues - y compris de l’héroïne - en plus d’offrir des services d’emploi et de logement. Tout comme aux Pays-Bas, on tient compte des droits des consommateurs et de la communauté et non seulement des droits de l’ensemble de la société. Une des raisons pour lesquelles l’approche de Merseyside s’est révélée aussi efficace est qu’on y offre toute une gamme de services d’aide mettant à contribution plusieurs organismes du milieu. Les services aux usagers de drogues sont intégrés, ce qui en rend l’accès plus facile lorsqu’on a besoin d’y recourir. De plus, les corps policiers appuient le programme et participent à sa planification.
La police de Merseyside est considérée comme étant à l’avant-garde dans l’élaboration d’une stratégie de réduction des méfaits fondée sur la coopération avec la Regional Health Authority. Les policiers ont aussi accordé leur appui à la Health Authority en acceptant de ne pas exercer de surveillance sur les consommateurs, en adressant ceux qui sont arrêtés aux autorités sanitaires, en n’intentant pas de poursuites à l’endroit des détenteurs de seringues "échangées" et, enfin, en accordant publiquement leur appui au programme d’échange de seringues.
L’un des aspects les plus importants de la stratégie de la police de Merseyside est la concentration de ses efforts sur l’arrestation des trafiquants, ce qui n’empêche pas une attitude plus circonspecte à l’endroit des usagers.
La Merseyside District Health Authority a mis au point l’une des stratégies de réduction des méfaits les plus complètes au monde, qui repose sur des lignes directrices régionales mises de l’avant par le Conseil consultatif sur l’usage non approprié des drogues (Advisory Council on the Misuse of Drugs - ACMD, 1988; 1989) et dont voici les grands points:
Les services de prévention du VIH de Merseyside distribuent des seringues et des aiguilles échangeables, des condoms gratuits et donnent des conseils sur les habitudes sexuelles plus sécuritaires et l’usage des drogues. Plusieurs de ces organismes de prévention fournissent d’autres services comprenant des tests anonymes pour le VIH et mettent des professionnels de la santé à la disposition des personnes qui pratiquent l’UDI. Ces organismes adoptent une attitude amicale à l’endroit des clients: ils posent un minimum de questions sur l’identité de la personne, ont un horaire très flexible et des périodes d’attente très courtes et ils évitent de porter des jugements. Un des meilleurs moyens de maintenir le contact avec les consommateurs consiste à se rapprocher d’eux.
Par suite d’une recommandation de l’ACMD (1988, 1989), les pharmacies de Merseyside sont aussi en mesure de fournir du matériel d’injection et jouent un rôle de premier plan dans l’application du modèle.
Selon les données disponibles sur l’infection par le VIH parmi les utilisateurs de drogues injectables à Merseyside, la stratégie de prévention s’avère efficace. Les statistiques officielles montrent qu’il y a eu diminution des crimes liés aux drogues dans plusieurs villes de la région, pendant que la moyenne nationale ne cessait d’augmenter. On estime généralement que la baisse du taux de criminalité et de l’infection par le VIH est liée aux diverses mesures adoptées pour faire face aux problèmes des drogues dans ce milieu, en conséquence de quoi le modèle Mersey de réduction des méfaits retient maintenant l’attention à travers le monde en tant que modèle théorique de services d’aide axés sur la réduction des méfaits (O’Hare, 1992).
Les obstacles à une approche de réduction des méfaits
L’application d’une politique de réduction des méfaits rencontre plusieurs obstacles dans de nombreux pays, y compris le Canada. L’idéalisme est un des principaux écueils à l’adoption de politiques non prohibitionnistes. Se prononcer en faveur de la réduction des méfaits, c’est accepter que certains dommages soient inévitables. Au contraire, une approche comme celle de la "tolérance zéro", en vogue aux États-Unis, écarte par définition toute forme de compromis (Hawks, 1992). Le Canada, tout comme les États-Unis, est l’héritier d’une morale abstentionniste, qui fait de l’abstinence le seul moyen acceptable de traiter ceux qui abusent des drogues licites, et la seule façon "normale" de considérer l’usage de drogues illicites. Toutefois, en Amérique du Nord, la mentalité guerrière vis-à-vis des drogues est venue ajouter d’autres barrières; autrement dit, toute forme d’aide à l’endroit des usagers de drogues est perçue comme une forme d’encouragement à la consommation. Cette mentalité est plutôt celle des États-Unis que du Canada où elle est tout de même présente.
L’incapacité, pour la société, d’accepter que l’usage des drogues puisse représenter une forme légitime de risque constitue un autre obstacle de taille. Même si la société tolère, sinon encourage, certaines formes de risques susceptibles de causer des torts plus grands (la course automobile, l’alpinisme, le saut bungee, etc.), elle continue de percevoir la réduction des méfaits liés à l’usage des drogues comme une mauvaise mesure, presque diabolique.
La facilité plus ou moins grande d’application des diverses approches constitue une autre barrière. La réduction de l’offre par la répression policière est la plus facile à appliquer et, dans le climat politique actuel, elle rallie plus d’appuis que la réduction des méfaits.
La religion ou les croyances nous ont inculqué qu’il faut punir les personnes qui enfreignent les règles de la moralité; cette attitude ne facilite pas l’application d’une politique de réduction des méfaits.
Dans plusieurs situations, les obstacles légaux sont évidents: en dépit de nos revendications en faveur d’une stratégie de réduction des méfaits, nous devons admettre que la principale voie d’intervention face aux problèmes de drogues reste toujours la criminalisation. Ainsi, au niveau du gouvernement fédéral, le pourcentage des individus incarcérés pour des infractions liées aux drogues est passé de 9% à 14%, entre 1986 et 1990 (Erickson, 1992). Malgré une diminution croissante de l’usage des drogues au Canada, le nombre d’accusations portées par la Gendarmerie royale est resté inchangé. D’autre part, il y a eu augmentation sensible de certaines catégories d’accusations, notamment à l’égard des trafiquants de petites quantités de marijuana. Bref, malgré une diminution de l’usage, entre 1986 et 1990, le taux de criminalité imputable aux drogues a augmenté et un très grand nombre de personnes arrêtées ont reçu des sentences d’emprisonnement. Pour surmonter ces obstacles à l’établissement d’une politique de réduction des méfaits, nous devrons changer les lois sur l’usage des drogues ou la façon de les appliquer, ou les deux à la fois.
Le manque d’information concernant la nature et les effets des politiques sur les drogues constitue un autre obstacle. Ainsi, le peu d’information dont disposent les citoyens sur la relation entre l’injection de drogues et le sida est une des raisons qui rendent difficile la mise sur pied d’un programme d’échange de seringues. Une fois que le public est informé de la possibilité de réduire, de façon importante, la propagation du sida, il est habituellement mieux disposé à l’endroit des mesures d’échange de seringues (quoique rarement à proximité de chez lui).
L’insuffisance de services d’aide aux usagers et de mesures appropriées dans de nombreux pays empêche la réalisation de progrès en matière de réduction des méfaits. Cela est particulièrement vrai en milieu carcéral. D’ici à ce que l’on puisse établir des services plus "ouverts" et accessibles, il sera difficile d’appliquer une stratégie de réduction des méfaits et nous persisterons dans notre attitude d’hypocrisie à l’endroit des usagers de drogues. Pour en arriver à maximiser nos contacts avec les toxicomanes, il ne faut pas se préoccuper uniquement de ceux et celles qui veulent cesser de consommer. D’ailleurs, les statistiques indiquent que 5% à 10% seulement des toxicomanes sont prêts à se soumettre à un programme qui prône l’abstinence. Somme toute, il faut trouver les moyens de rejoindre les 90% restants.
Conclusion et recommandations
L’approche de réduction des méfaits repose sur l’éducation et la réadaptation plutôt que sur la criminalisation et la punition.
Les données dont nous disposons démontrent clairement que les programmes de réduction des méfaits peuvent atténuer plusieurs conséquences dommageables reliées à l’usage des drogues, y compris le sida et les autres infections. Nous possédons d’ores et déjà assez de renseignements à l’appui d’une telle politique, ne serait-ce qu’en ce qui a trait aux usagers de drogues par injection5.
Étant donné que les effets dommageables des drogues varient selon les quantités absorbées et les modes d’utilisation, il ne nous apparaît pas que l’accès libre au marché, pas plus que la commercialisation ou la prohibition, puissent réduire les méfaits causés par les drogues. Si l’approche de réduction des méfaits suppose l’adoption de solutions de rechange à la prohibition et à la criminalisation, elle n’implique pas nécessairement la légalisation des drogues.
La réduction des méfaits pose des problèmes aigus, et il est préférable de débattre de ces questions ouvertement plutôt que de les ignorer, comme cela a été trop souvent le cas dans le passé. Les programmes d’échange de seringues représentent, il est vrai, un moyen de diminuer les risques inhérents à l’usage des drogues, mais cette mesure ne saurait suffire à elle seule à réduire de façon sensible les méfaits à divers niveaux et à plus long terme. Pour y arriver, il faudra mettre sur pied des programmes intégrés de réduction des méfaits, qui correspondent aux réalités culturelles des citoyens: la réduction des méfaits doit faire appel à plusieurs types d’intervention, non à un seul. La réduction des risques est un processus social qui ne peut être imposé par les autorités responsables de la santé publique et qui, pour être vraiment efficace, doit s’appuyer sur plusieurs moyens, capables d’engendrer des changements de comportement à long terme. Les mesures de réduction des méfaits doivent être accompagnées d’activités d’information sur la santé. Ce n’est pas uniquement la méthadone qui apporte une protection, mais bien le programme dans son ensemble, y compris les séances de counselling.
En définitive, la réduction des méfaits vise avant tout la qualité et l’intégrité de la vie humaine dans ce qu’elle comporte de beauté et de complexité. Elle ne cherche pas à peindre les enjeux en blanc ou en noir, mais à les refléter dans leur réalité, à travers les diverses teintes de gris. C’est une approche qui tient compte de la progression de l’usage, de la diversité des drogues et des besoins des personnes. Dans un tel contexte, il ne saurait y avoir de réponses définitives ou de solutions magiques. La réduction des méfaits se fonde sur le pragmatisme, la tolérance et la diversité: elle est à la fois le produit et le reflet de notre humanité.
Notes
Les lignes directrices soulignent que la prescription de drogues constitue un excellent moyen d’amener les usagers à se prévaloir des services et, ainsi, à modifier leurs comportements en accord avec les buts intermédiaires de réduction des méfaits. Chaque district de Merseyside est doté de son propre service d’ordonnance, dirigé par un psychiatre et appuyé par une équipe multidisciplinaire. Les conditions de traitement varient selon les services, mais, en règle générale, les clients doivent être référés par leur médecin généraliste, s’inscrire au programme, se soumettre à des tests d’urine et à un examen préliminaire, et se présenter à intervalles réguliers à l’agence qui a accepté de conseiller et d’appuyer l’individu dans sa démarche. Les ordonnances sont habituellement remplies par la pharmacie du voisinage, de une à trois fois par semaine, selon la nature de la prescription et selon le client. Certaines agences n’offrent que des services de désintoxication et de la méthadone, tandis que d’autres dispensent un traitement de soutien, et quelques-unes, de l’héroïne et une gamme variée d’autres drogues.