Du 1er au 3 octobre dernier sest tenue
une première conférence internationale organisée par lAssociation
canadienne des sociétés Elizabeth Fry (ACSEF) et lAssociation
canadienne des Centres contre le viol (ACCCV), sur le thème De
la victimisation à la criminalisation.
Dans leur invitation, les organisatrices déclaraient que depuis près
de 30 ans, les femmes et autres activistes ont choisi de conjuguer leurs efforts
pour mettre fin à loppression qui afflige les femmes victimisées
et criminalisées au Canada. La résistance des femmes: de la
victimisation à la criminalisation constitue une excellente occasion
délargir le réseau des groupes et des personnes intéressées
et de stimuler les efforts engagés en vue de réaliser légalité
des femmes. Véritable tremplin, la conférence donnera une voix
au chapitre aux femmes traditionnellement privées de leurs droits. Elle
permettra également daccélérer la réforme
à plus long terme des programmes sociaux, des politiques et des lois
axées sur la protection des femmes et des filles criminalisées
et victimes de violence.
Plus de mille femmes de tous les milieux et de tous les secteurs ont été
invitées à assister et à participer aux séances,
particulièrement celles qui ont été prisonnières,
victimes de violence ou qui ont dautres expé- riences à
relater en rapport avec le système pénal, ainsi que les hommes
qui sintéressent à la question. Lévénement
a attiré les personnes qui travaillent à titre dintervenantes
professionnels et de première ligne, les prestataires de services et
les spécialistes du droit, les responsables de politiques, les politiciennes
ainsi que les universitaires.
La conférence a porté sur plusieurs sujets, tels que la prostitution
et le commerce illicite des femmes et des jeunes filles, la violence faite aux
femmes, lexpérience des femmes marginalisées au sein du
système de justice pénale, la prévention du crime et la
justice réparatrice, de même que limpact des lois et des
politiques gouvernementales. Dans ce contexte, les participantes et participants
ont examiné les grands obstacles systémiques qui empêchent
les femmes datteindre légalité politique, économique
et sociale au Canada, et se sont attardés particulièrement aux
questions de la race et la classe.
Voici les questions qui ont été débattues en plénière.
Madame le juge Louise Arbour, Cour suprême du Canada, ancien procureur
des crimes de guerre et commissaire responsable de lenquête sur
certains événements qui se sont déroulés à
la prison pour femmes de Kingston, avait à répondre aux questions
suivantes :
La loi dessert-elle bien toutes les femmes?
- Comment garantir la sécurité
des personnes vulnérables, surtout les femmes et les enfants, et rendre
les gens imputables sans imposer de punitions plus sévères?
- Comment répondre aux besoins des
victimes sans éroder les notions de justice et dapplication régulière
des dispositions de protection des accusées?
- Comment continuer de garantir légalité
et la justice sociale des femmes dans le contexte socio-économique et
politique actuel?
Une deuxième plénière réunissant des féministes
et notamment Judy Rebick, ancienne présidente du NAC, sest attardée
aux questions suivantes :
Stratégies de changement social : En quoi peuvent-elles aider les
femmes? Comment évoluer en sappuyant sur des théories de changement
social différentes et en tenant compte des politiques électorales,
des mécanismes de droits de la personne, de lautonomie gouvernementale
autochtone et des stratégies anti-mondialisation?
- Comment favoriser légalité
et la justice sociale des femmes dans le contexte socio-économique et
politique actuel?
- Comment recourir à lÉtat
dans sa forme actuelle pour protéger les femmes et autres groupes opprimés
sans réclamer des mesures plus longues et plus punitives?
- Comment protéger un mouvement des
femmes indépendant tout en se mobilisant efficacement contre la globalisation
patriarcale?
Les autres plénières portaient sur :
La justice réparatrice
- Si la justice réparatrice est un
plan gouvernemental, qui est responsable et quel plan est prévu?
- La justice réparatrice constitue-t-elle
un retour aux valeurs et aux pratiques traditionnelles?
- La justice réparatrice a-t-elle
un effet plus féministe que la loi et lordre?
- La justice réparatrice est-elle
plus garante dun avenir humain et égalitaire que la justice punitive?
Le débat service/défense
- Cherchons-nous à venir en aide
à chaque femme ou fille victime ou cherchons-nous à les organiser
pour prévenir la victimisation et la criminalisation des femmes?
- Que reste t-il à dire après
Ce nest pas de sa faute?
- Comment discuter de la responsabilité
et de la capacité des femmes de prévenir le viol et déviter
la prison?
- Comment résister aux pressions
du financement qui nous poussent à offrir uniquement des services?
- Comment discuter de lorganisation
systémique qui rend les femmes vulnérables à la violence
ou à des comportements à risque criminels?
- Apprendre à vivre sans biens matériels
et sans vie sexuelle et sociale, ce nest pas la liberté. Comment
discuter des gestes de survie comme contrevenir à la loi pour survivre,
sans agir de façon irresponsable pour autant?
La police au Canada : Soit ils ne viennent pas, soit ils ne nous laissent
pas tranquilles
- Les hommes continuent de commettre des
crimes à lendroit des femmes: Le rôle de la police dans le
faible taux de condamnation.
- La sensibilisation de la police aux femmes
na pas réussi: Que faire maintenant?
- Que peuvent faire les femmes pour se plaindre
efficacement du comportement, ainsi que des politiques et procédures
de la police?
- Qui est responsable de la police? Le contrôle
civil sans ingérence politique.
- Lapplication de la loi nest
pas équitable: Le rôle de la police dans la «racialisation»
du crime et des peines.
- Des personnes aux prises avec des déficiences
mentales et cognitives errent dans la rue: Que peut faire la police?
- La guerre contre la pauvreté est
avant tout une guerre contre les pauvres: Que peut faire la police?
Pouvons nous/allons-nous former une coalition nationale pour lutter contre
le programme de «la loi et lordre»?
- Quelles lois et quel type dordre
devons-nous revendiquer?
- Quelles lois et quel type dordre
savèrent régressifs? La peine de mort? Des sentences plus
longues? Des sentences conditionnelles? De nouvelles prisons? Des prisons plus
sécuritaires? Des systèmes de classification? La surveillance
électronique? La justice réparatrice? Les libérations sur
parole? Les droits des victimes? La Charte?
- Devrions-nous soutenir lattribution
de pouvoirs accrus aux policiers et de plus gros budgets aux forces policières?
Peut-on adopter une cause commune/ poser des gestes communs pour mettre
fin à lemprisonnement des femmes?
- Est-il vrai que les femmes ne sont pas
les personnes qui ont recours à la violence?
- Quarriverait-il si toutes les femmes
étaient libérées de prison?
- Quel pourcentage de femmes sont emprisonnées
pour des crimes violents?
- Convient-il parfois demprisonner
des femmes pour des crimes contre la propriété?
- Que faire dans le cas des femmes qui ont
commis des gestes violents à lendroit de leurs enfants ou dautres
femmes?
- Certaines femmes occupent des postes qui
leur donnent beaucoup de pouvoirs Est-ce à dire quil ne faudrait
jamais les mettre en prison pour des offenses comme les crimes de guerre, lexploitation,
la collusion, etc.?
Déclaration de clôture
LAssociation canadienne des centres contre le viol et
LAssociation canadienne des sociétés Elizabeth Fry
Le rassemblement historique de cette semaine de plus de 600 femmes, dans la
capitale nationale, a été un pas délibéré
pour faire avancer la lutte en faveur de légalité des femmes.
Ce nest pas un hasard si les femmes qui représentent toutes les
régions de ce pays se trouvent réunies dans le Centre de conférence
du gouvernement, tout juste de lautre côté de la rue du Parlement.
La planification de la conférence a été empreint de transparence,
et ce nest pas un hasard si ce rassemblement a été accessible
et ouvert à toutes et à tous, y compris les médias. Particulièrement
en ce moment, ce nest pas un hasard si les présentatrices invitées
à cet événement ont été choisies délibérément
pour leur travail et leur grande compréhension des enjeux.
Bien que nous ayons travaillé pendant plus dun an pour élaborer
le programme de la conférence, qui proposait des sujets qui ont été
examinés par les féministes du Canada depuis quelque 30 années,
des discussions de fond ont mené à la décision de parler
des attentats du 11 septembre à New York et Washington dans le contexte
international actuel. Cela aurait été peu productif, voire naïf,
de procéder sans examiner les réalités du climat politique
mondial et limbrication de telles réalités à nos
luttes pour un changement social progressif.
Comment ces défis auraient-ils pu être abordés sans penser
à la menace de la guerre qui plane? Les racines et les ramifications
des événements mondiaux récents sur notre mouvement sont
profondes. Nous ne pouvons pas aller de lavant comme si le travail de
la police navait pas changé et que les populations carcérales
naugmenteront pas, comme si nous nétions pas menacés
par dautres restrictions à limmigration, comme si la violence
non motivée par le racisme nexistait pas, comme si les ressources
ne sont pas déjà redistribuées et comme si les protestataires
ne sont pas déjà lobjet dattaques.
En tant que participantes du mouvement indépendant des femmes du Canada,
nous avons réussi à créer ce forum dans le but davoir
des discussions et une réflexion provocatrices et intelligentes.
Dans la foulée de la controverse entourant le discours douverture
de la conférence, par Sunera Thobani, la féministe canadienne
bien connue, nous souhaitons dénoncer la presse et les membres élus
au Parlement pour leur mauvais traitement de Mme Thobani, de la conférence,
des participantes et participants et des mouvements pour le changement social.
De nombreuses femmes sont arrivées à Ottawa, cette semaine, craignant
déjà la guerre. De nombreuses femmes craignent aussi que les préparatifs
de la guerre servent à justifier une amplification du programme de la
loi et de lordre ainsi que pour attaquer le développement de légalité
des femmes.
On ne devrait pas sétonner de voir que les groupes de femmes sont
parmi les premiers à dénoncer les représailles violentes
proposées contre les événements du 11 septembre. Nous ne
voulons pas dautres morts en raison de lagitation internationale.
Cette semaine, les voix qui ont lancé un appel pour des solutions de
rechange à la crise du 11 septembre ont été lobjet
dattaques, alors que lespace pour de telles voix est sérieusement
menacé. Chaque femme et chaque homme dans ce pays devraient craindre
les conséquences potentielles des réactions qui cherchent à
condamner, ridiculiser et supprimer lopposition au programme de la guerre
et de la violence.
Les femmes réunies ici sont unies par leur préoccupation face
à la politique gouvernementale canadienne et ses répercussions
sur légalité des femmes, sur la lutte pour mettre un terme
au racisme et la lutte pour vivre autrement que dans la pauvreté. Nous
sommes préoccupées par la terrible question de savoir comment
mettre un terme à la violence contre les femmes sous toutes ses formes.
Cest à juste titre que nous examinons toujours la question de la
guerre.
Pendant vingt ans, lACCCV a discuté et critiqué la politique
gouvernementale pour mettre un terme à la violence faite aux femmes.
On a parlé dimmigration, des questions de justice pénale,
de relations entre le gouvernement fédéral et les provinces, du
traitement des personnes incarcérées, des projets de justice réparatrice
et du finance- ment des groupes de femmes indépendants. Nous luttons
pour faire avancer la question des droits économiques des femmes. LACCCV
existe pour multiplier les effets des centres daide aux victimes dagression
sexuelle partout au Canada, et cela en parlant au gouvernement fédéral
dune seule et même voix.
Pendant vingt-deux ans, lACSEF a travaillé pour humaniser et personnaliser
les questions des femmes criminalisées. Nous avons attiré lattention
du gouvernement fédéral sur les questions touchant les femmes
criminalisées et nous nous efforçons de démontrer le fait
que les femmes qui sont le plus marginalisées à cause de leur
race, leur classe, leur orientation sexuelle et celles qui sont victimes de
violence, sont celles qui risquent le plus dêtre ciblées
par la police, dêtre poursuivies par lÉtat, de recevoir
une sentence demprisonnement et dêtre vilipendées par
la population. Une partie de notre rôle consiste à détruire
le mythe à leffet que les femmes sont une source de violence sociale.
Notre travail consiste également à protéger les personnes
qui militent en faveur dun changement social progressiste. Pour ce faire,
nous devons créer un endroit où nous pourrons entendre la voix
des femmes.
Nous demandons à toute la population du Canada, aux individus et aux
organismes en faveur de la lutte pour légalité, la paix
et la justice, en faveur du droit à la liberté de parole et à
la démocratie participative, dunir leur voix à la nôtre
en cette période critique. Nous vous encourageons à participer
à ce vaste mouvement de solidarité par le biais de vos propres
déclarations aux médias, vos propres conférences de presse,
vos propres déclarations de soutien et vos demandes pour léquité
et louverture desprit.
Pour tout renseignement supplémentaire, veuillez communiquer avec :
Lee Lakeman, ACCCV, par téléphone, au (604) 872-8212
ou Kim Pate, ACSEF, par téléphone, au (613) 238-2422.