Justice pénale | Printemps 2001 |
À laube du nouveau millénaire, nous poursuivons notre
mission de travailler avec et pour les femmes criminalisées. À
la suite de la fermeture de la prison des femmes de Kingston, nous attendons
la fermeture des unités à sécurité maximum pour
femmes dans les prisons pour hommes, le développement de ressources communautaires
pour les femmes et le retour des femmes incarcérées à leur
famille et leur communauté.
Toujours préoccupées par limportance dassurer aux
femmes en prison laccès à la justice, nous faisons face
à la nouvelle année avec espoir, énergie, enthousiasme
et inspiration.
Comme lenvironnement économique, social et politique continue de
défier les femmes pour lesquelles nous travaillons, nous devons nous
efforcer de demeurer unies, fortes et centrées sur notre mission et nos
objectifs.
Nous sommes très souvent pressées dabandonner les dossiers
les plus difficiles pour mieux survivre. Notre résistance face à
ces pressions continuera de renforcer notre voix et notre engagement envers
légalité et la justice pour les femmes.
Vous trouverez dans ce qui suit un résumé des questions, préoccupations
et défis auxquels lAssociation Canadienne des Sociétés
Elizabeth Fry fait face dans la poursuite de son mandat.
Les femmes sous sentence fédérale : au-delà du rapport
Arbour
LAssociation canadienne des Sociétés Elizabeth Fry continue
de jouer un rôle central dans la surveillance et la dénonciation
des problèmes de procédures et de politiques se rapportant à
la réponse du Service correctionnel du Canada aux difficultés
qui émanent des prisons régionales pour femmes.
Nous estimons que ces problèmes qui perdurent requièrent une direction
nationale dans le domaine correctionnel pour femmes. Cette année, le
poste de la sous-commissaire aux femmes est demeuré vacant, alors que
cette dernière a cumulé les fonctions de Commissaire nationale
avec ses responsabilités au niveau des femmes, limitant dautant
lautorité de la fonction.
Le 3 septembre 1999, le solliciteur général Lawrence MacAulay
annonça la fermeture de la prison des femmes de Kingston ainsi que des
unités à sécurité maximum dans les prisons pour
hommes, et lintégration dici septembre 2001 des femmes actuellement
détenues dans ces endroits dans les prisons régionales.
LAssociation Canadienne des Sociétés Elizabeth Fry avait
demandé ces changements à plusieurs reprises et nous en sommes
très satisfaites.
Toutefois, nos membres sont inquiètes du fait que ces fermetures entraîneront
laugmentation du nombre de places dans les prisons régionales.
Nous nappuyons pas la construction de cellules supplémentaires
car nous ne croyons pas que la gestion des femmes sous sentence fédérale
les requiert.
Nous croyons plutôt que le développement de ressources communautaires
favorisant la réinsertion sociale serait un objectif plus approprié.
LAssociation Canadienne des Sociétés Elizabeth Fry est très
préoccupée par le fait que les besoins des femmes classées
à sécurité minimum demeurent sans réponse adéquate.
Une des critiques majeures à propos de la prison des femmes de Kingston
portait sur le fait que toutes les femmes étaient soumises au même
régime de haute sécurité, quel que soit leur classement.
Cette situation perdure dans les nouvelles prisons régionales pour femmes.
Nonobstant le fait que lAssociation Canadienne des Sociétés
Elizabeth Fry nappuie pas la construction de places additionnelles en
prison, si le Service correctionnel du Canada persiste dans cette voie, nous
préférons que ces places soient construites pour les femmes à
sécurité minimum à lextérieur des clôtures.
La situation actuelle, qui noffre aucune place pour les femmes à
sécurité minimum, outre 13 lits à la Maison Isabel-MacNeil
à Kingston, continue de violer la Charte des Droits, la Loi sur les services
correctionnels et la libération conditionnelle et constitue une discrimination
envers les femmes classées à sécurité minimum.
Nous sommes également préoccupées par le fait que les femmes
des premières nations ayant de sérieux problèmes de santé
mentale et celles qui sont classées à sécurité maximum
nont toujours pas accès à la loge de guérison Okimaw
Ohci. Les femmes autochtones qui ont contribué au groupe de travail sur
la Création de choix souhaitaient que toutes les femmes autochtones aient
accès à la loge de guérison quel que soit leur niveau sécuritaire.
LAssociation Canadienne des Sociétés Elizabeth Fry croit
en effet que la loge de guérison a été conçue précisément
pour ces femmes qui sen voient refuser laccès et qui sont
détenues dans des unités isolées à sécurité
maximum dans le pénitencier de Prince Albert en Saskatchewan et dans
le centre régional de psychiatrie de Saskatoon.
En 1996, le Service correctionnel du Canada a retiré les femmes classées
à sécurité maximum des prisons régionales, le temps
de renforcer la clôture périphérique et dajouter des
mesures de sécurité additionnelles. Ce qui ne devait durer que
18 à 24 mois dure toujours.
Presque quatre ans plus tard, plutôt que dintégrer toutes
les femmes dans les prisons régionales, le Service correctionnel du Canada
travaille encore à les fortifier.
Il sagit du troisième renforcement sécuritaire de ces prisons
régionales, toujours pour les mêmes femmes qui attendent toujours
dêtre réintégrées. La première, en 1994,
a vu le doublage des unités à sécurité renforcée.
Lors de la deuxième, en 1996-1997, les clôtures sécurisées
par du barbelé, les caméras de surveillance à 360 degrés
et autres mesures furent mises en place dans les prisons régionales.
Plutôt que de reproduire les problèmes en construisant des unités
maximum dans les prisons régionales, lAssociation Canadienne des
Sociétés Elizabeth Fry a suggéré que le Service
correctionnel du Canada implante son plan dorigine qui sappuyait
sur une sécurité dynamique où le personnel supporte et
intervient pour mieux «gérer» les femmes classées
à sécurité maximum ou encore celles ayant des besoins importants
en santé mentale.
Si le développement dunités à sécurité
minimum et de ressources communautaires devenait lobjectif, les places
en prison qui seraient libérées seraient suffisantes pour accommoder
les femmes transférées des unités à sécurité
maximum dans les prisons pour hommes. LAssociation Canadienne des Sociétés
Elizabeth Fry ne fut pas impliquée dans la planification actuelle, mais
souhaite contribuer à développer des stratégies qui accommoderaient
toutes les femmes en prison. À cette fin, nous avons demandé au
solliciteur général détablir un comité aviseur
tel que proposé dans le rapport Création dechoix, la Commission
Arbour et plus récemment par lACSEF dans son mémoire au
Comité sur la Justice et les droits de la personne touchant la révision
après cinq ans de la Loi sur les services correctionnels et la libération
conditionnelle.
Il y a 66 ans, un premier rapport recommandait la fermeture de la prison des
femmes de Kingston. Il y a quatre ans, le Rapport Arbour faisait la même
recommandation. Le premier rapport décrivait cette prison comme étant
inappropriée même pour les ours! Depuis, malgré le fait
que les femmes ont toujours été considérées trop
peu nombreuses pour être comptées, trop de femmes furent incarcérées
dans cette prison. LAssociation Canadienne des Sociétés
Elizabeth Fry espère quavec la fermeture de la prison des femmes
de Kingston, nous verrons la fin dune époque et le début
dun avenir plus prometteur pour les femmes incarcérées au
Canada.
Malheureusement, lACSEF demeure méfiante face à la volonté
et à la capacité du Service correctionnel du Canada dinstaurer
de véritables réformes qui répondent aux besoins des femmes
sous sentence fédérale libérées dans la communauté.
Quatre ans après la publication des recommandations de la Juge Arbour
et presque dix années après la fin des travaux du comité
de travail sur les femmes sous sentence fédérale et la publication
du rapport Création de choix, nous attendons toujours que le service
correctionnel élabore une stratégie nationale de développement
de ressources communautaires qui permettraient la libération et la surveillance
des femmes dans la communauté.
Nonobstant lexistence dune maison de transition pour femmes à
Vancouver, de quelques places en famille daccueil à Edmonton et
de deux lits disponibles dans une maison financée par la province en
Saskatchewan, il ny a presque pas doptions de libération
de jour pour les femmes sous sentence fédérale à lOuest
de lOntario. À la suite de la fermeture de la maison de transition
dOttawa, en raison dun manque de financement, il reste trois maisons
de transition Elizabeth Fry et une de lArmée du Salut pour les
femmes en Ontario.
Il y a deux maisons de transition au Québec, dont une gérée
par la Société Élizabeth Fry du Québec qui a, en
plus, développé deux centres régionaux pouvant accommoder
deux à trois femmes. Il ny a aucune ressource dans les provinces
de lAtlantique.
LAssociation Canadienne des Sociétés Elizabeth Fry souhaite
que le Service correctionnel développe une stratégie nationale
et des standards de réinsertion sociale qui répondraient aux besoins
des femmes en prison et en communauté, que ces femmes soient dans les
prisons régionales, à la loge de guérison Okimaw Ohci ou
dans les unités à sécurité maximum des prisons pour
hommes. Un investissement plus grand sur le support communautaire est donc nécessaire
pour les femmes à leur sortie de prison.
La criminalisation accrue des femmes
Les femmes incarcérées, tout particulièrement celles de
minorités raciales, constitue la population en prison qui croît
le plus au monde. La prétendue «guerre à la drogue»,
la réduction des services sociaux et de santé, de même que
les politiques de tolérance zéro non différenciées
selon le sexe ont contribué de manière significative à
ce phénomène. Souvent ce sont les femmes qui sont employées
dans le trafic de la drogue et donc détectées, accusées
et emprisonnées, alors que ceux qui les employaient sont libres.
Trop de femmes sous sentence fédérale qui sont classées
à un niveau de sécurité maximum ont des problèmes
cognitifs et/ou de santé mentale. Plusieurs furent déjà
institutionnalisées dans des hôpitaux psychiatriques et/ou traitées
par les services de santé mentale. Plusieurs sont criminalisées
en raison de leurs problèmes de comportement en institution et/ou en
communauté.
En raison des compressions budgétaires, nous avons vu ces femmes jetées
à la rue et ultérieurement dans le filet plus large et plus profond
de contrôle social que constitue notre système de justice criminelle.
Malgré le fait que le système de justice est le moins habile et
le plus coûteux à utiliser pour répondre aux incapacités
cognitives et mentales, cest un système qui ne peut refuser le
«service» à une personne criminalisée, quelle que
soit lincapacité.
Une fois en prison, le besoin en santé mentale devient un facteur de
risque. Lincapacité physique et/ou mentale fait partie des facteurs
qui doivent être évalués en vue de déterminer le
niveau de classement sécuritaire. Ceci ne signifie pas que la présence
de tels facteurs entraîne automatiquement un classement sécuritaire
plus lourd. Cependant, certains problèmes de santé mentale créent
des incapacités réelles pour les femmes et, ce faisant, pour le
service correctionnel. Malheureusement en créant une équivalence
entre lincapacité due à la santé mentale et le risque,
on ne fait que perpétuer la perception sociale que les personnes ayant
des problèmes de santé mentale sont dangereuses.
Cest exactement ce genre de stéréotype qui est prohibé
par la Charte des Droits. Plusieurs femmes qui ont des problèmes de santé
mentale ne présentent pas de risques, tel que stipulé à
la section 17 des règlements de la Loi sur les services correctionnels.
Se servir des besoins de traitement en santé mentale comme motif pour
accroître le classement sécuritaire à un niveau maximum
impose à ces femmes un traitement plus dur. Cest clairement discriminatoire
et contraire à la section 15(1) de la Charte. Conséquemment, lAssociation
Canadienne des Sociétés Elizabeth Fry continue de sopposer
à la criminalisation accrue des femmes ayant des problèmes de
santé mentale.
Enfin lAssociation Canadienne des Sociétés Elizabeth Fry,
de concert avec dautres groupes, travaille pour contrer la criminalisation
des femmes violentées. En réponse à la pression sociale
pour rendre les hommes plus responsables face à leurs actes de violence,
on a vu se développer depuis un certain temps des politiques de tolérance
zéro non différenciées selon le sexe qui ont permis daccuser
les femmes à leur tour. Les femmes sont souvent accusées si elles
ont réussi à réagir et à se défendre contre
les agressions ou les menaces de la part de conjoints violents quelles
dénoncent à la police. Ceci est particulièrement vrai en
ce qui concerne les femmes autochtones et de minorités raciales.
Une justice qui se débarrasse des jeunes
Cette année sachève dans lattente du rapport du comité
parlementaire sur la justice et les droits humains portant sur le projet de
loi C-3 et la Loi sur les jeunes délinquants. LAssociation Canadienne
des Sociétés Elizabeth Fry a déposé un mémoire
en février de cette année et, nonobstant certains amendements
positifs, sinquiète que labsence de ressources dans la communauté
entraîne un sabordage des éléments progressistes comme ce
fut le cas avec la première loi sur les jeunes délinquants.
De plus, le nombre croissant de jeunes femmes dans les systèmes de justice
fédéral et provincial nous préoccupe. À moins que
le ministre résiste aux appels pour des mesures plus punitives envers
les jeunes et privilégie une plus grande éducation du public sur
les dangers de pénaliser et dincarcérer de façon
excessive nos jeunes, nous ne sommes pas près de voir un changement dans
cette tendance régressive en matière de justice pour les jeunes.
Dans le but dencourager le comité parlementaire à examiner
les effets désastreux et les coûts humains de déférer
nos jeunes au système de justice pour adultes, lAssociation Canadienne
des Sociétés Elizabeth Fry a invité une jeune femme qui
en avait fait lexpérience à faire une présentation
devant le comité parlementaire. Voici le résumé de son
histoire.
Le cauchemar dune jeune femme : lhistoire de K
K est une jeune femme du Manitoba, la province qui défère le plus
de jeunes vers le système adulte. K fut arrêtée quand elle
avait 16 ans. Elle conduisait une auto de laquelle un jeune homme tira un coup
de feu sur une personne. Elle fut arrêtée et envoyée à
la prison provinciale pour femmes Portage. En raison de son âge et de
la publicité entourant le crime, K fut placée en isolement dans
lune des pires unités de ségrégation du pays pour
attendre son audience en vue dun transfert à la cour adulte.
Au départ, K fut accusée de meurtre au premier degré. Il
est courant que la police émette envers les jeunes quils souhaitent
voir déférer à la cour adulte laccusation la plus
grave que leur version des faits puisse appuyer. La preuve présentée
lors daudiences en vue dun transfert au tribunal adulte nest
pas soumise à la même rigueur quà un procès.
K fut déférée à la cour adulte en raison de ce chef
daccusation. Elle faisait partie dun groupe de sept jeunes impliqués,
mais était la seule fille. Les autres jeunes furent accusés comme,
elle et quatre dentre eux ont témoigné contre leurs «amis»
en échange de leur liberté.
Une fois transférée à la cour adulte, la couronne lui proposa
un règlement soit trois à quatre ans de prison en échange
dun plaidoyer de culpabilité à une accusation réduite
dhomicide involontaire. Comme cest souvent le cas, et malgré
lopinion de son avocat qui estimait quelle avait de bonne chance
dêtre acquittée, elle nétait pas prête
à risquer dêtre trouvée coupable à la suite
dun procès sur un chef daccusation de meurtre au premier
degré, puis sentencée à la prison à vie sans chance
de libération avant 25 ans.
K a donc plaidé coupable et fut condamnée pour homicide involontaire.
Malgré le fait que la couronne recommandait trois à quatre ans
de prison, le juge lui donna une sentence dune année. Quand K réalisa
que cela signifiait un retour à la même prison provinciale où
elle avait passé deux ans, elle demanda à son avocat de tenter
dobtenir quelle soit placée ailleurs. Il sensuivit
une requête pour une sentence de deux ans pour quelle puisse être
incarcérée à la nouvelle prison régionale dEdmonton
ou encore à la loge de guérison dOkimaw Ohci.
Malheureusement, le Service correctionnel du Canada a classé K à
un niveau sécuritaire maximum et la plaça à lunité
maximum du pénitencier pour hommes de la Saskatchewan. À lâge
de 18 ans, K avait déjà commis deux tentatives de suicide là-bas,
ce qui lui valut un transfert au Centre régional psychiatrique. Le Service
correctionnel recommanda alors quelle soit détenue jusquà
lexpiration du mandat dinternement.
Quand le grand-père de K est mort, on lui refusa un permis dabsence
temporaire pour aller aux funérailles. Sur la foi de la déclaration
dun policier de Winnipeg quant au risque que K représentait, le
Service correctionnel lui refusa la possibilité de rendre hommage à
lhomme qui lavait élevée et quelle reconnaissait
plus comme son père que comme grand-père. À lâge
de 19 ans, K fut libérée doffice. Alors que sa grand-mère
demandait que K aille vivre avec elle, le Service correctionnel la força
à aller dans une maison de transition pour hommes.
K était la seule femme dans la maison et est devenue lobjet de
sollicitations de la part de plusieurs résidants. Elle prit tous les
moyens pour éviter dêtre à la maison, se plaçant
en bris de conditions de sa libération conditionnelle. Conséquemment,
elle fut retournée à deux reprises à la prison Portage.
À lexpiration de sa sentence de deux ans, elle fut soumise à
une probation de trois ans avec des conditions plus sévères que
celles de sa libération conditionnelle. En plus dun couvre-feu
à 19h, elle devait accomplir 400 heures de travaux communautaires. Ces
conditions lempêchaient de poursuivre son travail de soir, donc
de gagner sa vie et de continuer ses études. Après avoir dépassé
son heure de couvre-feu et son délai pour les 400 heures de travail,
elle sest retrouvée à nouveau en bris de ses conditions.
Où K peut-elle aller maintenant pour avoir de laide? Elle était
sous la protection de la jeunesse au moment de son arrestation. Cest lÉtat
qui était son parent. Cinq ans plus tard, à lâge de
21 ans, K est libérée sans ressource, ni support familial, plus
abattue par le système quavant. K sest automutilée
et médicamentée pour assumer sa vie en prison. Elle croit que
cest tout ce qui lui reste quand elle pense à sa triste vie : sans
famille, ni argent, ni travail, mais rapidement ciblée quand il sagit
de laccuser et de lemprisonner à la suite des bris de conditions.
La désignation de « criminel dangereux »
Le 29 juin 1999, la Cour dappel de lAlberta a décidé
de renverser la désignation de «criminel dangereux» prononcée
contre Lisa Neve le 17 novembre 1994. Lisa avait 21 ans quand elle fut étiquetée
comme la deuxième femme la plus dangereuse au Canada et emprisonnée
pour une durée indéterminée.
Avant elle, deux autres femmes avaient reçu cette étiquette. La
première, Marlene Moore, sest suicidée à la prison
des femmes de Kingston. Le troisième cas a également été
renversé en appel.
Quand Lisa avait 12 ans, elle fut placée en « traitement sécuritaire
» et, peu de temps plus tard, en détention sécuritaire.
Contrairement à plusieurs femmes de son âge, elle était
respectée comme «chef», et le système réagissait
à son tempérament confiant et affirmatif. De telles qualités
ne sont généralement pas acceptées, encore moins encouragées
socialement, que cela soit par le système de protection de la jeunesse
ou le système de justice criminelle. Elles sont considérées
comme dautant plus inacceptables quand il sagit dune jeune
femme. Le sexisme, le racisme, lhétérosexisme et les préjugés
de classes se conjuguent pour former une lunette particulièrement discriminatoire
quand il sagit de voir et de juger les femmes comme Lisa.
Ce ne fut pas très long avant que les autorités voient Lisa comme
un « problème » quil fallait corriger. Une fois les
étiquettes attachées, elles collent et en attirent dautres
qui sajoutent et aggravent les premières. Lisa fut dabord
difficile, rebelle, ensuite elle devient une instigatrice négative, plus
tard agressive, sociopathe et enfin dangereuse. Sappuyant principalement
sur les notes à son dossier dans les centres juvéniles et à
son comportement non féminin et de renégate sur la rue, Lisa a
été déclarée la plus dangereuse des femmes au Canada
par le Juge Murray en 1994, et ensuite classée comme détenue à
sécurité maximum par le Service correctionnel du Canada pendant
plus de quatre ans.
Lisa a passé six ans en prison pour un délit que la Cour dappel
a jugé punissable dune sentence de trois ans plutôt que celle
imposée par le juge Murray. De plus, ses conditions de détention
furent parmi les plus sévères et contraignantes au Canada. Personne
ne devrait endurer le type de traitement auquel elle fut soumise.
Il est à souhaiter que la décision de la Cour dappel de
lAlberta dans le cas de Lisa entraîne des changements systémiques
dans ladministration de la justice par les femmes en Alberta et au Canada.
Tout dabord, la Cour a confirmé la décision de la Cour suprême
du Canada dans laffaire Lyons à leffet que la désignation
de criminel dangereux ne devait « sappliquer quà un
petit groupe de personnes très dangereuses » et que « la
Cour devait être convaincue que le comportement de la personne est pathologique
et impossible à changer ». La Cour a aussi critiqué lacceptation
par les cours de première instance dune évaluation psychologique
qui sous-entendait que les pensées meurtrières dune femme
peuvent équivaloir à la commission de meurtre par lhomme
La Cour souligna également que «la loi sur les criminels dangereux
sadressait à un petit groupe de délinquants récalcitrants
dont le comportement est tellement intégré que le risque éventuel
pour la sécurité publique exige une détention préventive»
et nota que «tous les délits commis par Lisa Neve étaient
liés à sa vie comme prostituée et, constituaient des tentatives
de corriger des torts faits aux autres». La Cour a de plus trouvé
que Lisa Neve était une jeune femme avec un passé de violence
fort récent et, plus quautre chose, une propension à raconter
des histoires à connotations violentes.
Enfin, la Cour dappel a précisé que la question était
de savoir si Lisa Neve, comparativement à lensemble des délinquants,
hommes, femmes, jeunes, vieux, appartenait à ce petit groupe de délinquants
très dangereux. Les juges ont trouvé quelle ny correspondait
pas et ont donc renversé le premier jugement, y substituant une sentence
de trois ans, « conforme à un délit de vol ».
En deux jours, Lisa est passée de la réalité dune
vie en prison à la liberté. Nonobstant le fait que lAssociation
Canadienne des Sociétés Elizabeth Fry et dautres groupes
de femmes ont applaudi la décision de la Cour dappel, il est dommage
que la Cour nait pas autorisé ces groupes à témoigner
en faveur de Lisa.
En effet, lAssociation Canadienne des Sociétés Elizabeth
Fry, lAssociation des femmes autochtones, le Réseau des femmes
handicapées, le Fonds déducation et daction des femmes
auraient souhaité faire valoir les implications de la décision
du juge de première instance Murray eu égard à la Charte
des droits.
Mais la Cour dappel na pas permis à la coalition dintervenir,
préférant sen remettre uniquement à lavocat
de la défense pour de tels arguments.
Ce faisant, leur décision na pas porté sur la question de
légalité parce que les juges la considéraient inutile
une fois quils avaient déterminé que la désignation
de criminel dangereux avait été mal utilisée dans le cas
de Lisa. Par chance, les arguments et les analyses des faits et de la loi par
le juge en chef Fraser et les juges Conrad et Picard fournissent une base utile
pour des contestations futures sur la base de légalité ce
qui permettra daider les autres, même les hommes.
Depuis la décision, avec laide de sa famille, Lisa sadapte
à la vie hors de prison. Elle fut en libération conditionnelle
jusquà lexpiration du mandat en novembre 1999 et elle continue
à travailler sur son avenir. Le plus grand danger qui la guette maintenant
est celui de la réaction du public qui pourrait nuire à sa réinsertion
sociale.
Le Service correctionnel du Canada cherche à gagner du temps dans la
cause des compensations aux victimes du LSD
La fin de lannée est arrivée sans que justice soit rendue
pour Dorothy Proctor et les autres détenues qui furent soumises, il y
a 40 ans, à des expérimentations au LSD à la prison des
femmes de Kingston. Cela fait plus de cinq ans que Mme Proctor, la seule qui
accepte dêtre identifiée, a approché le solliciteur
général et le Service correctionnel du Canada, demandant quils
reconnaissent leur responsabilité face aux expérimentations auxquelles
elle fut soumise quand elle était une jeune femme emprisonnée
à Kingston.
Le Service correctionnel du Canada a mandaté un comité denquête
pour examiner le cas de Mme Proctor. Dans leur rapport portant le titre de Board
of Investigation into allegations of mistreatment at P4W between March 22, 1960
and August 1, 1963, les enquêteurs ont recommandé une compensation
pour Mme Proctor et pour 22 autres femmes qui reçurent du LSD à
la prison. Le Service correctionnel du Canada a ensuite demandé au Centre
déthique médicale et de droit de lUniversité
McGill de lui fournir un avis indépendant sur les effets à long
terme du LSD et des protocoles pour répondre à chaque cas individuellement.
Ils ont également demandé que les femmes sidentifient auprès
des services de santé du Service correctionnel du Canada.
La faiblesse de létude de McGill soulève des questions quant
à la nature et à la quantité dinformation fournie
par le Service correctionnel du Canada. En effet, les avocats de Mme Proctor
ont révélé que le Service correctionnel du Canada a omis
de divulguer de linformation essentielle touchant les expérimentations
au LSD, les opérations à Kingston et les résultats de leur
enquête depuis les cinq dernières années.
LAssociation Canadienne des Sociétés Elizabeth Fry a demandé
au commissaire national du Service correctionnel doffrir immédiatement
des compensations à Mme Proctor et aux autres détenues touchées,
en plus de faire des efforts pour identifier les quelque 20 autres femmes ayant
subi ces expérimentations. Nous les avons encouragés à
assurer lanonymat à ces femmes qui pourraient ne pas vouloir savancer
par crainte que la publicité ne cause des torts à leurs familles.
Tout comme ce fut le cas avec la Commission Arbour, le Service correctionnel
du Canada a tendance à nier et à éviter sa responsabilité
face à une faute. Ce nest quune question de temps avant que
le Service correctionnel du Canada soit encore une fois appelé à
rendre des comptes.
La confusion engendrée par les peines minimum dincarcération
LAssociation Canadienne des Sociétés Elizabeth Fry demande
depuis longtemps que le ministère de la Justice adapte la défense
de légitime défense à la réalité des expériences
des femmes battues qui se défendent. Après la décision
de la Cour suprême du Canada dans Lavallée en 1990, lAssociation
Canadienne des Sociétés Elizabeth Fry et dautres groupes
de femmes qui travaillent à promouvoir légalité ont
demandé la révision des causes des femmes emprisonnées
pour avoir tué un conjoint violent.
Ces efforts ont permis dobtenir une révision dont le but était
dexaminer les causes des femmes emprisonnées à la suite
de leur implication dans la mort de leur conjoint et de recommander comment
on pourrait assurer une certaine justice pour ces femmes sentencées pour
meurtre au Canada et dont les circonstances auraient dû permettre une
défense de légitime défense.
LAssociation Canadienne des Sociétés Elizabeth Fry a aussi
été impliquée dans des consultations nationales avec dautres
groupes de femmes qui travaillent sur la violence faite aux femmes. Ensemble
ils ont réussi à établir le lien entre lexpérience
de la violence par les femmes et leurs condamnations à lemprisonnement.
À cet égard, lAssociation Canadienne des Sociétés
Elizabeth Fry a participé en 1995 avec dautres groupes au développement
dune réponse aux propositions du livre blanc de 1993 et à
celles portant sur la réforme de la loi sur la légitime défense
en 1995.
En 1998, le gouvernement fédéral a rendu public son dernier document
de consultation sur la réforme de la légitime défense,
La réforme du Code Criminel : les défenses de provocation, de
légitime-défense et la défense de la propriété.
À lété 1999, lAssociation Canadienne des Sociétés
Elizabeth Fry a réuni en consultation nationale les groupes de femmes
préoccupés par légalité pour discuter de la
relation entre la légitime défense, la défense de provocation
et la peine minimum demprisonnement à vie dans les cas de meurtres.
La position de lAssociation Canadienne des Sociétés Elizabeth
Fry dans le cadre de cette consultation était de demander dabolir
la peine minimum demprisonnement à vie. LAssociation Canadienne
des Sociétés Elizabeth Fry soppose, depuis 1979, aux peines
minimum obligatoires, tout comme lont fait plusieurs autres commissions
gouvernementales. En raison des impacts très importants de la sentence
obligatoire demprisonnement à vie pour les femmes coupables de
meurtre et des conditions dans les prisons pour femmes, lAssociation Canadienne
des Sociétés Elizabeth Fry demande labolition de toutes
les peines minimum demprisonnement.
Ceci est dautant plus important si nous voulons véritablement combattre
la discrimination systémique des femmes criminalisées et emprisonnées,
des personnes de minorités raciales, handicapées, pauvres, lesbiennes
et gaies. Il est simpliste de croire comme certains que les sentences minimum
sont une mesure dégalité de traitement. Ces sentences ne
constitueraient un traitement égal que si tout le monde avait une chance
égale de recevoir une telle sentence.
Ceci ne correspond pas à la réalité pour plusieurs raisons.
La disparité existe en partie en raison du type doffenses visées
par les peines minimum, qui sont en général des crimes commis
par des personnes défavorisées socio-économiquement.
Il a été démontré à maintes reprises par
les chercheurs, avocats et défenseurs sociaux, que les personnes autochtones,
de minorités visibles et pauvres, font face à un système
de justice criminelle où la discrétion est utilisée à
leur désavantage à partir de létape des enquêtes
et des mises en accusation par la police, en passant par les décisions
de poursuite prises par les procureurs de la couronne, aux procès et
aux sentences prononcées par les juges, jusquaux pratiques pénales
et disciplinaires par les autorités pénitentiaires et enfin aux
décisions de la commission de libération conditionnelle. Il y
a un nombre important de personnes avec des handicaps cognitifs et psychiatriques
qui se retrouvent dans le système de justice et pour qui les pratiques
stéréotypées et discriminatoires influencent leurs condamnations
et la probabilité quils reçoivent une sentence minimum demprisonnement.
De plus, il existe des preuves que la Couronne a une préférence
pour les accusations de meurtre au premier degré contre les femmes qui
tuent leurs conjoints, alors que la preuve aurait requis une accusation dhomicide
involontaire ou encore aucune accusation.
Compte tenu du fait que les femmes qui tuent leurs conjoints violents pour prévenir
une agression sont les premières à téléphoner à
la police et à déclarer leur implication, la Couronne utilise
souvent leurs actions comme base pour les accuser de meurtre au premier degré.
Il est illogique et injuste que les préjugés qui mènent
à des accusations de meurtre au premier degré contre ces femmes
entraînent des peines minimum demprisonnement à vie.
De plus, tel que démontré en 1995 par la Commission sur le racisme
systémique dans le système de justice criminelle en Ontario, les
statistiques sur les décisions de la police en matière de mise
en accusation et les autres décisions procédurales confirment
le biais systémique contre les groupes tels que les noirs et, de là,
la discrimination. De plus, dans le rapport de 1996 de la Commission royale
sur les peuples autochtones, Bridging the cultural divide, les statistiques
démontrent lexistence du racisme dans lattribution des sentences
au Canada, comme par exemple le recours excessif à des mesures punitives
contre les autochtones, les noirs et la surreprésentation des femmes
autochtones dans les prisons fédérales.
Parmi les détenues fédérales qui purgent une sentence-vie
pour meurtre, les femmes autochtones et de minorités visibles sont désavantagées
en raison du racisme systémique qui se révèle dans leurs
conditions de détention telles que le classement sécuritaire et
le traitement disciplinaire, ce qui influence leurs chances de libération
conditionnelle et donc la longueur de leur emprisonnement.
Compte tenu de ce que nous connaissons du racisme systémique, illustré
par la discipline à lintérieur des prisons, la culture dans
les prisons fédérales et le non-respect de la loi tel que révélé
par les commentaires de la Juge Arbour dans son rapport sur les évènements
à la Prison des femmes de Kingston, nous savons que le racisme se propage
des décisions prises par la police, la Couronne et les juges à
ceux qui administrent les sentences demprisonnement et les conditions
des libérations conditionnelles dans les prisons fédérales.
De plus, les handicaps cognitifs et psychiatriques pèsent lourd aussi
dans le processus de classification, le plan correctionnel et laccès
à la libération conditionnelle.
Il nest donc pas étonnant que les recherches révèlent
que le recours à des sentences minimum dincarcération sadressent
spécifiquement à ces groupes minoritaires.
Les femmes qui déclarent avoir tué un conjoint violent ne sont
pas crues et font face à un déni misogyne ainsi quà
une absence de support légal, social, économique pour leur défense.
À la perspective de perdre leurs enfants pour des décennies sajoute
la perte destime de soi et de confiance que provoque la violence des hommes
contrôlants. Les femmes accusées de meurtre au premier degré
sont systématiquement désavantagées dans leur capacité
de combattre laccusation sur la base de la légitime défense.
En raison de lobligation dune sentence minimum demprisonnement
à vie, la tendance est de plaider coupable à une accusation dhomicide,
de sorte à avoir accès à une sentence déterminée
par le juge plutôt quà un minimum obligatoire.
Les sentences longues en prison peuvent avoir des effets plus désastreux
sur les femmes des minorités ou sur celles ayant des problèmes
cognitifs et/ou de santé mentale. Les perspectives demploi seront
dautant plus difficiles après une longue sentence. Comme elles
sont plus susceptibles dêtre les seules responsables de leurs enfants,
elles sont plus susceptibles de vivre la perte de leurs enfants et lanxiété
quant à leur bien-être.
LAssociation Canadienne des Sociétés Elizabeth Fry croit
que les sentences minimum demprisonnement contribuent à la discrimination
systémique par le fait quelles exigent des avocats de recourir
à des mesures extraordinaires pour éviter à leurs clients
dêtre condamnés pour des offenses qui commandent des peines
dincarcération minimum. Plusieurs des problèmes associés
avec la légitime défense et la défense de provocation sont
des distorsions causées par lexistence de la peine minimum demprisonnement
à vie dans les cas de meurtre.
Les accusés, les avocats et les juges sont obligés de construire
des défenses telles que « le syndrome de la femme battue »,
« lavance homosexuelle », la « panique homosexuelle
», les « défenses culturel-les » et la « rage
» pour éviter la sentence-vie, même quand de telles défenses
ont des impacts négatifs au niveau social et violent la Charte sur le
plan des droit des victimes et des groupes sociaux tels que les femmes, les
gais et lesbiennes et les personnes de groupes raciaux. La solution la plus
appropriée serait de se défaire de lobligation de la peine
minimum demprisonnement pour meurtre.
LAssociation Canadienne des Sociétés Elizabeth Fry soppose
dautant plus aux sentences minimum demprisonnement quelles
entraînent la croissance de la population carcérale au Canada,
tout particulièrement les femmes. Nous savons bien que les femmes ne
sont pas devenues du jour au lendemain plus violentes.
Les sentences minimum produisent de linégalité parce que
les juges sont forcés dimposer des sentences obligatoires, quelles
que soient les circonstances atténuantes. Pour les femmes et les autres
groupes démunis, cette obligation ignore les oppressions systémiques
qui produisent des «criminels» et même la responsabilité
individuelle. Par exemple, les femmes qui ont tué un conjoint violent
et plaidé coupables à un homicide ont, après larrêt
Lavallée en 1990, reçu des sentences suspendues et/ou des sentences
communautaires sur la base du fait que leur violence sexpliquait par leur
responsabilité morale en tant que femmes battues.
Une nouvelle législation sur le recours aux armes, passée en 1995,
exige que le juge impose une sentence minimum dincarcération dans
une prison fédérale dau moins quatre ans pour tout accusé
coupable dun crime violent envers une personne si une arme a été
utilisée. Ceci simpose même quand il existe des circonstances
atténuantes de violence à long terme des femmes qui tuent leurs
agresseurs. La reconnaissance légale de tels facteurs, obtenue de dure
lutte par le mouvement des femmes, est annulée par le recours à
la sentence minimum. Le degré moral de la faute nentre plus en
considération dans limposition de la sentence.
Conséquemment une femme qui tire dune arme à feu sur son
conjoint et dont laction nest pas considérée comme
relevant de la légitime défense peut recevoir une sentence plus
longue que lhomme qui bat à mort sa femme.
Ainsi le nombre de femmes purgeant une peine demprisonnement à
vie a crû de 12% à 14% à la fin des années 1980,
à près de 22% dix ans plus tard. LAssociation Canadienne
des Sociétés Elizabeth Fry attribue ce résultat à
limpact de la peine minimum obligatoire demprisonnement à
vie pour meurtre. Une tendance similaire existe aux États-Unis où
le recours aux peines minimum a eu un impact dramatique au niveau de laugmentation
de la population des femmes détenues.
Un autre effet de ces sentences obligatoires est lallongement extraordinaire
des sentences demprisonnement par rapport aux standards internationaux.
Par exemple, juste derrière les États-Unis, le Canada a la moyenne
de sentence la plus longue, soit 28,4 ans pour meurtre au premier degré,
alors que pour les autres pays, la moyenne est de 14,3 années.
Pour toutes ces raisons, lAssociation Canadienne des Sociétés
Elizabeth Fry a recommandé au ministère de la Justice ce qui suit
: