Femmes en prison | Automne 1998 |
Dernièrement, le Service correctionnel du Canada a déposé un
document dorientation touchant la stratégie communautaire et les éléments clés
en ce qui a trait aux besoins en réinsertion sociale des femmes sous sentence fédérale. En voici quelques extraits. Profil des femmes purgeant une peine fédérale La majorité des femmes purgeant une peine fédérale viennent
dun milieu marginalisé. La plupart ont un passé et un présent caractérisés par
la pauvreté, la violence, des problèmes de drogues et dalcool de longue date, un
faible niveau de scolarité et un manque de possibilités dobtenir un emploi bien
rémunéré. Les antécédents de violence physique et sexuelle et les problèmes de
drogues et dalcool sont encore plus répandus parmi les femmes autochtones. De plus,
leur expérience des établissements des Blancs a amené ces dernières à se méfier de
ces établissements ou à les détester ainsi quà mettre en doute la capacité de
ces structures de répondre à leurs besoins (Sugar et Fox, 1990). Voici quelques-unes des constatations faites lors dune enquête
menée auprès de 170 des 203 femmes purgeant une peine de deux ans ou plus qui a été
entreprise pour le Groupe détude sur les femmes purgeant une peine fédérale en
1989 : Les deux tiers des femmes ont des enfants, et plus de 70 %
dentre elles en ont assumé seules la responsabilité pendant tout ou en partie de
la vie de leurs enfants; 80 % ont été victimes de violence, soit 68 % de violence physique
et 54 % de violence sexuelle; parmi les femmes autochtones, 90 % ont dit avoir subi des actes de
violence physique et 61 % des actes de violence sexuelle; seulement 29 % des femmes interrogées avaient fait des études ou
suivi une fomation au-delà du niveau de fin de scolarité de base; les femmes autochtones sont encore plus défavorisées sur le plan
des études et de la formation puisque sur 39, une seule appartenait à la catégorie
précédente; seulement 38 % des femmes avaient occupé un emploi régulier,
ordinairement peu rémunéré; enfin, 69 % des femmes interrogées ont déclaré que la toxicomanie
avait joué un rôle capital dans la perpétration de leur crime ou leurs antécédents
criminels (Shaw, 1990); daprès un profil plus récent, ces femmes présentent des
antécédents de plus en plus diversifiés sur le plan racial et culturel. Le pourcentage
de Blanches est tombé de 64,7 % en 1994 à 54,7 % en 1997. Le pourcentage de femmes
autochtones demeure élevé, soit de 18,7 %. Celui des Noires a atteint 11,5 %, celui des
femmes asiatiques, 3,0 % et celui des femmes dune autre origine ethnoculturelle,
12,1 %. Ces chiffres soulignent la nécessité davoir des programmes et services
adaptés sur le plan culturel à la population visée. But de la stratégie communautaire Les recherches et lexpérience nous apprennent quaprès
leur élargissement, les délinquants et délinquantes qui sont isolés socialement
réussissent moins bien que ceux qui peuvent faire appel à leur famille, leurs amis ou
dautres membres de la collectivité. En effet, ce sont souvent les liens existants
avec la communauté générale qui permettent aux délinquants en liberté sous condition
de se trouver un logement et du travail, dobtenir une aide financière à court
terme et de jouir du soutien social qui leur permet de se reprendre en main (Haines,
1991). Plus tôt les femmes réussissent à réintégrer la collectivité où
elles ont lintention de sétablir, plus tôt elles peuvent établir des
rapports sociaux constructifs avec leur famille, leurs amis et les autres membres de la
collectivité ou commencer à se créer un réseau de ressources qui durera après
lexpiration de leur mandat. Le but de la stratégie communautaire est donc de favoriser aussitôt
que possible le retour en toute sécurité des femmes, dans la collectivité quelles
ont choisie. Ceci suppose une démarche à trois volets : assurer la qualité et lopportunité des démarches de
préparation de cas et de planification de la libération conditionnelle; prévoir une surveillance et une aide convenables dans la
collectivité; favoriser la mise en rapport des femmes avec un réseau de ressources
qui durera après lexpiration du mandat. Au chapitre des besoins et des services, la stratégie communautaire du
SCC identifie bien les principaux défis: répondre à des besoins élémentaires de
survie, de soutien, demploi, de formation générale et professionnelle. Un autre
défi identifié est celui doffrir des services de support aux femmes qui sont
responsables denfants. Programmes centrés sur les femmes Les femmes en liberté sous condition doivent avoir accès à des
programmes et services qui leur sont destinés, surtout dans les domaines critiques comme
les interventions postérieures à un traumatisme ou à des actes de violence, les
traitements pour la toxicomanie et les responsabilités parentales. Il faut aussi tenir
compte, en ce qui concerne la participation aux programmes, des besoins particuliers des
femmes, par exemple le besoin dassurer le soin des enfants. Pour ce qui est des solutions, le SCC cible lhébergement. Solutions améliorées en matière de logement Un des grands obstacles à la mise en liberté des femmes, au moment le
plus opportun, dans leur propre collectivité, est labsence de solutions en matière
de logement, surtout pour celles qui obtiennent la semi-liberté. Daprès la LSCMLC,
le SCC doit avoir recours aux mesures les moins restrictives possibles, compte tenu du
risque et des besoins du délinquant, et cette exigence sapplique aussi aux
solutions en matière dhébergement. Les femmes nont pas toutes besoin de
surveillance, mais un grand nombre dentre elles ont besoin dun milieu
résidentiel où elles seront appuyées. Étant donné le petit nombre de femmes dans la plupart des endroits,
on ne peut pas justifier létablissement dun centre résidentiel communautaire
(CRC) exclusivement pour les femmes. On loge donc certaines femmes, qui y consentent, dans
des CRC à population principalement masculine, pour leur permettre de retourner vivre
dans leur collectivité le plus tôt possible. Il faut veiller à ce que les femmes aiguillées vers des CRC, qui
accueillent surtout des hommes, soient non seulement en sécurité, mais quelles se
sentent à labri de toute violence. Dans certains CRC, il y a une section distincte
où les femmes jouissent dune certaine intimité et peuvent se sentir isolées des
hommes. Les femmes qui ont été pendant longtemps victimes de la violence de la part des
hommes peuvent avoir de la difficulté à vivre dans un CRC mixte, tandis que
dautres, qui ont eu un vécu différent, peuvent sy adapter. Appartements satellites Ces appartements accordent plus dintimité aux femmes tout en
permettant une surveillance efficace. Il est important dévaluer attentivement le
risque et les besoins de la femme pour juger de lopportunité de cette solution. Placements dans une maison privée Aux endroits où les maisons de transition nexistent pas ou ne
constituent pas une solution économiquement viable, le placement dans une maison privée
peut être un moyen dassurer un soutien et une structure à certaines candidates. Contrats avec des centres de traitement ou des centres pour femmes Dans le cas de femmes qui, par exemple, ont besoin dêtre
traitées pour un problème de toxicomanie, les centres de traitement résidentiels
communautaires peuvent représenter une solution. Les maisons dhébergement pour
femmes sans abri ou victime de violence sont souvent liées à dautres ressources
communautaires et peuvent offrir un logement convenable à court terme aux femmes qui
obtiennent leur élargissement et les mettre en rapport avec un réseau de soutien qui
leur assurera des services à long terme. LAssociation canadienne des Sociétés Elizabeth Fry (ACSEF)
prétend quil y a un urgent besoin pour des ressources capables de répondre à la
demande en réinsertion sociale pour les femmes. Ce besoin est dautant plus criant
dans les Prairies et lAtlantique, où il nexiste presque rien. La stratégie du SCC ne relève surtout pas la grande donnée ou
contrainte à laquelle nous faisons face: linégalité régionale (provinciale) en
ce qui a trait laccès à des ressources communautaires pour les femmes. La question du recours à des ressources pour hommes quand il ny
a pas de ressources spécifiques pour femmes ou que le nombre de femmes est insuffisant
pour en établir est probablement pour plusieurs laspect le plus problématique. La stratégie du SCC propose une série doptions sans les
qualifier outre mesure. LACSEF croit quil y a des principes fondamentaux qui
doivent sous-tendre la stratégie: Des maisons de transitions doivent être disponibles dans chaque
province. Présentement, de telles ressources ne sont accessibles quen Ontario, au
Québec et en Colombie Britannique. Ces maisons de transition doivent être spécifiques aux femmes. Il
est inacceptable quon accommode des femmes dans des ressources pour hommes. Il est important que lon développe des ressources dun
modèle plus petit et plus souple pour répondre aux besoins des femmes en régions,
cest-à-dire hors des centres urbains. Par exemple, pour ce qui est de lhébergement, les maisons de
transition devraient se situer dans les grandes villes du pays. On devrait développer des
satellites dans les villes moyennes. La Société Elizabeth Fry du Québec expérimente le
modèle en Estrie depuis mai 1997. Le recours à des placements en familles daccueil nous semble
infantilisant tout en noffrant aucune garantie de counselling, daccompagnement
et de support nécessaire à toute femme en réinsertion sociale. Sur ce point, les orientations du SCC contenues dans la stratégie ne
sont pas claires. On pourrait croire que les placements en famille sont tout aussi
valables que les maisons de transition, quelle que soit la clientèle, ses besoins et son
appartenance régionale. Dans un deuxième temps, une fois satisfaits les besoins en
hébergement transitoire, il faut sassurer que la communauté offre sinon développe
des services daide en réinsertion au travail, en formation professionnelle, des
groupes de support pour femmes ayant des problèmes dhabiletés parentales, de
toxicomanie, de santé mentale, dabus sexuels et de violence conjugale. La
collaboration de centres de femmes, de centres daide pour femmes victimes
dagressions sexuelles, de centres de traitement pour les dépendances aux drogues et
à lalcool, de centres pour personnes ayant des problèmes de santé mentale, ne
sont quun exemple des collaborations requises. LACSEF ne croit pas quil faille dédoubler ce qui existe
déjà. Dailleurs, en réinsertion sociale, il faut encourager les femmes à se
servir des ressources disponibles à lensemble de la population pour répondre à
leurs besoins sociaux, de travail, de formation, dinformation, dassociation. Il ne sagit donc pas de créer des ghettos pour les femmes mais
de reconnaître quil leur faut des services spécifiques et spécialisés au début
de leur réinsertion sociale pour ensuite les orienter vers une vie autonome et un
fonctionnement social comme citoyennes de plein droit. Lincapacité de respecter ces principes placerait le SCC en
contradiction avec son énoncé de mission, la loi sur les services correctionnels et les
dispositions de la Charte des droits sur légalité. Il ne faut pas que la stratégie communautaire du SCC mène à des
choix qui exacerberaient les désavantages des femmes sous sentence fédérale.