Par Djamila Amellal, agente de communication,
Secteur des communications et de l’engagement des citoyens

Photos : Djamila Amellal

CasgrainAu cœur du quartier résidentiel Notre-Dame-de-Grâce de la grande métropole, au nord de la rue Sherbrooke et à l’est du boulevard Décarie à Montréal, elle est là. Debout, dans un quartier établi où se côtoient intellectuels et artistes, anglophones et francophones, au sein d’une paroisse ouverte et sensible aux situations sociales. Debout et fière d’elle-même, fixant son objectif à l’infini : la réinsertion sociale réussie des délinquantes. C’est elle la maison de transition Thérèse-Casgrain.

« La maison de transition Thérèse-Casgrain (MTTC) est le tout premier projet communautaire de la Société Elizabeth Fry du Québec (SEFQ), un organisme communautaire créé en 1977, déclare Mme Ruth Gagnon, directrice générale de la SEFQ. La MTTC est née en 1980 et elle est la plus ancienne maison de transition pour les femmes au Québec. Son mandat est de favoriser la réinsertion sociale des femmes judiciarisées. Par conséquent, nous travaillons de très près avec le Service correctionnel du Canada (SCC), les Services correctionnels du Québec et la collectivité. »

photo : Ruth Gagnon et Christine Champagne

Un environnement des plus stimulants

La MTTC, ainsi appelée pour souligner l’œuvre de Mme Thérèse Casgrain, ancienne présidente de la Ligue des droits de l’homme ayant travaillé fort à la promotion des droits des femmes et des personnes marginalisées, offre l’environnement idéal pour une réinsertion sociale réussie des délinquantes. Constituée de deux grandes ailes, l’une hébergeant les bureaux du siège social de la SEFQ et l’autre, les lieux de résidence des délinquantes avec un total de 32 lits, une grande cuisine et des salles de séjour, l’apport de la MTTC est inestimable pour les délinquantes et la collectivité. La maison est ouverte 24 heures par jour; elle reçoit des femmes âgées entre 18 et 80 ans et emploie 15 personnes à temps plein.

« Nos résidantes proviennent essentiellement des Établissements Joliette et Tanguay, et nous gérons actuellement près de 32 délinquantes, déclare Mme Gagnon. Dans le cas des délinquantes sous responsabilité fédérale, nous avons des ententes de services avec le SCC. Je pense sincèrement que l’environnement influe grandement sur la motivation des personnes, et cette maison est un bel outil pour la réinsertion des femmes. Quand elles sortent de prison, la maison représente un point de départ. Grâce au métro, par exemple, elles restent proches de la vie urbaine sans y être trop exposées. Elles sont à l’abri et protégées dans ce genre de quartier. »

Sensibiliser à la cause

Il va sans dire que la réalisation d’un tel projet a suscité une réaction vive et de l’appréhension chez les résidents du quartier, qui voyaient leur horizon calme et sécuritaire perturbé par l’arrivée des délinquantes. C’est pour cela que, de concert avec le SCC, le personnel de la SEFQ s’est vite attelé à la tâche de sensibilisation en organisant des activités variées, y compris une assemblée publique pour informer les résidants et les écouter parler de leurs peurs. « C’était une grosse marche à monter et la première année nous avons été une grande porte ouverte, déclare avec fierté Mme Gagnon. On a rencontré les voisins. On les a sensibilisés, sécurisés et on a fini par développer de bonnes relations de voisinage. Maintenant, on fait partie du décor. »

Madame Christine Champagne, la directrice clinique actuelle, ajoute « Nous avons dû préparer les délinquantes à cela; elles ont reçu des consignes strictes et claires. La discrétion est toujours de mise. »

Des partenaires dans la solution

La MTTC accomplit un travail exceptionnel auprès des délinquantes et ce travail se fait en étroite collaboration avec le personnel du SCC, celui du bureau de libération conditionnelle du secteur Ville-Marie, la police de quartier d’Outremont et le réseau communautaire. « Pour nous, tout commence lorsqu’on reçoit un appel d’une intervenante de l’Établissement Joliette sur les possibilités de séjour, à la MTTC, d’une délinquante dont la date de libération conditionnelle approche », déclare Mme Champagne. « Nous les acceptons toutes en général, sauf les cas de violence extrême et les cas d’incendiaires. Elles apprennent à cuisiner, à garder les lieux propres, à respecter le voisin. Elles sortent seules ou accompagnées de bénévoles dépendamment de leur degré d’autonomie. »

Des programmes qui bâtissent des ponts avec la collectivité

La MTTC reçoit en moyenne 40 délinquantes par année de l’Établissement Joliette, avec des statuts variés (semi-liberté, liberté d’office et dépannage) et des séjours pouvant aller jusqu’à huit mois.

L’étroite collaboration entre la MTTC et l’Établissement Joliette peut prendre bien des formes. Différents programmes sont offerts à l’intérieur et à l’extérieur de l’établissement.


Les programmes d’intégration communautaire et Temps d’arrêt

Casgrain - Amélie Bordeleau

« Six mois avant la date prévue de libération conditionnelle dans la collectivité, ou dans le cadre de la procédure d’examen expéditif dont la date est toujours fixée à l’avance, dira Mme Amélie Bordeleau, responsable des programmes en milieu carcéral, je me rends à l’établissement dans le cadre du Programme d’intégration communautaire. Je rencontre les délinquantes, j’établis des groupes de cinq ou six délinquantes qui fonctionnent bien ensemble. Je pars de leurs besoins et on parle de la libération conditionnelle, des suspensions et de la maison de transition pour les préparer à leur prochaine sortie. On anime huit séances et on termine le programme avec une rencontre individuelle. »

Elle ajoute : « C’est moi aussi qui anime l’autre programme, Temps d’arrêt, spécialement conçu pour les délinquantes qui ont connu un échec lors de leur libération. Le programme consiste à les rencontrer au cours des jours qui suivent leur retour en établissement et à les laisser s’exprimer sur leur retour. Je les prépare aussi à l’audience post suspension. C’est vraiment prendre un temps d’arrêt et réfléchir sur ce qui n’a pas bien été. »

photo : Amélie Bordeleau


Le programme Option vie

Daniel Benson

Ce programme vient en aide aux délinquantes purgeant des sentences à vie; il est très populaire. « Nous sommes un organisme financé par le SCC, par la Commission nationale des libérations conditionnelles (CNLC) et par des organismes communautaires, déclare M. Daniel Benson, intervenant accompagnateur et ancien délinquant. Au Québec, c’est la Société Saint-Léonard qui gère l’entente avec le SCC. La grande partie de mon travail consiste à écouter. Je comprends bien les délinquantes car je suis passé par là. Je pense sincèrement qu’il faut les sortir de leurs propres prisons avant de les sortir de l’établissement, et cela vient en les écoutant. On suit ces délinquantes depuis l’incarcération jusque dans la collectivité. Je me déplace dans l’établissement et elles peuvent m’appeler sur mon cellulaire jour et nuit. Des fois, un seul appel calme les choses. »

photo : Daniel Benson

Le service juridique

Madame Marie France Laforce, avocate de formation, et membre elle aussi de la SEFQ, agit comme conseillère juridique auprès des délinquantes. Elle apporte son soutien au besoin en se rendant à l’Établissement Joliette et à la MTTC. « Je ne me substitue pas à l’avocat criminaliste affecté au dossier, mais j’essaie d’aider en servant de lien de communication, en démythifiant bien des croyances sur le système de justice pénale, en travaillant aussi sur leurs impôts, le logement, les enfants. Elles se confient à moi car je ne fais pas partie de l’établissement. Plusieurs sont convaincues qu’elles auront des problèmes si elles parlaient. J’aime faire cela car lorsqu’une femme arrive à passer au travers, ça me donne chaud au cœur », déclare-t-elle avec beaucoup de passion dans la voix.

Le projet Maman me raconte

Inspirées par un programme américain dont l’objectif est de sécuriser et faciliter le rapprochement enfant-maman incarcérée, Mme Gagnon et Mme Champagne travaillent de concert avec la Société Elizabeth Fry de
Saint-John, Nouveau-Brunswick (qui a lancé le projet au Canada) à réaliser ce projet qui consiste à enregistrer sur cassettes la voix de la maman lisant des histoires, des histoires que son enfant écoutera tous les soirs pour lui permettre de rester en contact avec sa mère, ce qui le sécurise, brise la solitude et facilite les retrouvailles plus tard. Selon l’expérience de Saint John, ce projet contribue de loin à la réussite scolaire de l’enfant. « On essaie de concrétiser ce projet avec l’aide des bénévoles qui se rendront à l’établissement avec des enregistreuses, des piles, des écouteurs et qui travailleront avec la maman détenue. Un beau projet », dira Mme Champagne.

 

Une équipe d’expertes dévouées

Le travail qu’accomplit la MTTC, en établissement et dans la collectivité, est exceptionnel grâce à l’expertise, au dévouement et à la passion qui animent les employés de la SEFQ et ceux du SCC.

Casgrain - Christine Champagne - Renée Bray - Carole Lemieux

Il existe à la MTTC une équipe clinique qui compte quatre conseillères et la directrice, toutes engagées et passionnées. Chaque conseillère prend sous ses ailes sept à neuf délinquantes. « Quand les délinquantes arrivent, elles disposent d’un plan correctionnel déjà tout prêt, dira Mme Anne-Marie Côté, conseillère clinique. On évalue leurs besoins et on travaille à préparer leur départ dès leur arrivée. On travaille selon les statuts et la période de séjour. Notre intervention est très personnalisée. » Elle ajoute : « Nous sommes une présence qui apporte du soutien. Une journée, nous sommes juste une épaule pour pleurer, la journée d’après on anime des discussions. Lorsqu’elles partent d’ici, elles partent avec des outils. La maison de transition, c’est essentiel pour elles car ici on est très proche de la délinquante. »

Dans la collectivité, trois agentes de libération conditionnelle (ALC) s’occupent de la surveillance en collectivité. L’une d’elles, Mme Carole Lemieux, expérimentée et au SCC depuis 1979, déclare : « Nous sommes d’abord des amies, des confidentes, et c’est comme cela que l’intervention devient agréable avec les délinquantes. » Comme la MTTC se trouve sur le territoire ouest de la métropole, le bureau de libération conditionnelle Ville-Marie auquel elle est rattachée, c’est elle qui s’occupe de faire accepter les délinquantes de l’établissement à la MTTC.

Sa collègue, Mme Renée Bray, vient ajouter, que, depuis 2002, elles ont mis sur pied un programme spécial de surveillance. Juste avant la date de libération des délinquantes, Mme Champagne et une ALC se rendent à l’établissement pour leur parler. Souvent, l’ALC travaillera avec la délinquante qu’elle connaît, ayant travaillé avec elle au début de la sentence. Nous poursuivons le travail avec elles par la suite quelle que soit la partie de la collectivité où elles vont. » Mme Carole Lemieux conclut que la collaboration avec la MTTC est formidable en raison du soutien des intervenantes cliniques et de leur rétroaction sur le comportement des délinquantes. « C’est super. La MTTC est un pivot pour nous », dira-t-elle avec beaucoup de reconnaissance dans le regard.

photo de gauche à droite : Christine Champagne, Renée Bray et Carole Lemieux

Le réseau des bénévoles – une autre façon de faire participer la collectivité

La MTTC travaille conjointement avec le SCC à renforcer les liens avec la collectivité en mettant sur pied un réseau de bénévoles dans la région de Montréal depuis deux ans, à la demande de M. Méthé, directeur du district Montréal Métropolitain à l’époque. « Nous disposons de près de huit bénévoles, déclare Mme Sofia Nastasa, responsable du programme. Les bénévoles accompagnent les délinquantes dans le processus, surtout celles qui sont très démunies et qui ont des besoins particuliers en raison de leur santé mentale et de leur âge. On les jumelle avec un bénévole pour les aider à s’habituer de nouveau à la société. Les bénévoles, c’est une autre façon de faire participer la collectivité au mandat de réinsertion sociale du SCC. » Un de ces bénévoles, M. André Morneau, a été formé et il accompagne des délinquantes en autobus. « C’est agréable et facile », dira-t-il.

Célébrer les retrouvailles du jardin qui a fleuri

La directrice générale a conclu en annonçant avec beaucoup de fierté que le mois d’août prochain témoignera de grandes retrouvailles entre les femmes : « Cette année, nous célébrons le 25e anniversaire d’existence de la MTTC, et nous célébrons sous le thème des retrouvailles. En 25 ans, pour une moyenne de 80 à 100 délinquantes par année, près de 2 000 femmes et bien des enfants sont passés par ici. Je suis fière de ce que nous accomplissons ensemble avec le SCC et la collectivité.»